Environ 40 ans après l’apparition du VIH/sida, la communauté des chercheurs peine toujours à trouver un vaccin contre cette maladie qui continue de faire de nombreuses victimes à travers le monde. Le désespoir s’est même quelque peu installé lorsqu’en février 2020, le National Institute of Allergy and Infectious Disease (NIAID) aux Etats-Unis annonçait la suspension des essais cliniques HVTN[1] 702 relatifs à un très prometteur candidat-vaccin qui était en évaluation depuis 2016 en Afrique du Sud. D’après le NIAID, c’était pourtant le seul schéma vaccinal à avoir jusque-là montré une réelle protection contre le VIH…
Dans un communiqué de presse diffusé le 3 février 2020, l’institution indiquait que cette décision avait été prise parce qu’un comité indépendant de surveillance avait découvert que ce candidat vaccin ne prévenait pas le VIH/sida. « Nous espérions que ce candidat vaccin fonctionnerait. Malheureusement, ce n’est pas le cas », regrettait Anthony S. Fauci, directeur du NIAID cité dans ce communiqué. Mais, ajoutait-il, « la recherche se poursuit sur d’autres approches pour un vaccin anti-VIH sûr et efficace, ce que je pense toujours être réalisable ».
A ce propos, Roger Tatoud, directeur adjoint des Programmes et du plaidoyer sur le VIH chez l’International Aids Society (IAS) fait savoir justement qu’il y a trois essais cliniques d’efficacité en cours surtout en Afrique australe et qui sont déjà aux phases 2 ou 3. Il s’agit du HVTN 705, du HVTN 706 et du PrEPVacc. « Ce sont des essais qui tentent d’autres candidats vaccins différents de celui qui avait été resté dans le HVTN 702 et on devrait avoir des résultats dans les deux à trois années qui viennent pour savoir s’ils aident à prévenir l’infection », dit-il.
En outre, indique ce dernier, il existe de nombreux autres produits dans le pipeline et qui relèvent pour certains d’une nouvelle approche de recherche du vaccin, même s’ils sont encore à un stade embryonnaire des essais cliniques. « Ce qui est intéressant est que ce sont des candidats vaccins qui ont une nouvelle façon de déclencher la réponse immunitaire et on espère qu’elle sera meilleure et qu’elle marchera mieux que ce qu’on a essayé jusque-là », souligne Roger Tatoud.
Parmi ces nouveaux candidats vaccins, il y a le “eOD-GT8 60mer” qui fait l’objet de l’essai IAVI G001 que réalise l’International AIDS Vaccine Initiative (IAVI) et Scripps Research. En février 2021, ces deux organisations américaines ont annoncé dans un communiqué de presse qu’un essai clinique de phase 1 avait produit des résultats « prometteurs ». « Le vaccin a réussi à stimuler la production de cellules immunitaires rares nécessaires pour démarrer le processus de génération d’anticorps contre le virus à mutation rapide ; la réponse ciblée a été détectée chez 97% des participants ayant reçu le vaccin », peut-on lire dans ce communiqué.
Sur la consistance de cette nouvelle approche, Vincent Muturi-Kioi, directeur médical chez IAVI affirme que cet essai a été conçu pour évaluer l’innocuité de ce candidat vaccin et pour déterminer s’il pouvait ou non activer des cellules B naïves capables de produire une classe d’anticorps largement neutralisants (bnAbs[2]) contre le VIH.
« La nouveauté de cette approche est basée sur une conception et une ingénierie rationnelles d’un vaccin capable d’engager des cellules B naïves spécifiques avec des caractéristiques qui permettraient au processus de génération d’anticorps largement neutralisants contre le VIH de commencer. Il s’agit de la première démonstration réussie de cette approche chez l’homme », dit-il.
Cette approche de recherche d’un vaccin contre le VIH/sida est une sorte de réponse à l’un des obstacles majeurs qui empêchent depuis quatre décennies de mettre au point un vaccin contre cette maladie. A savoir en particulier les rapides et fréquentes mutations du virus. « Les mutations qui confèrent au virus l’avantage d’échapper rapidement aux composants de la réponse immunitaire constituent un facteur clé », précise Dacquin M. Kasumba, professeur associé à la faculté de médecine de l’université de Kinshasa en République démocratique du Congo. « En plus, grâce à cette extraordinaire habileté à opérer plusieurs mutations, le virus développe un large répertoire de variants entre ses différentes souches et même à l’intérieur de chaque souche », ajoute l’intéressé.
A titre de comparaison, fait remarquer cet enseignant-chercheur, le virus de la grippe introduit régulièrement de manière saisonnière quelques mutations qui requièrent que son vaccin soit ajusté chaque année. « Le VIH, lui, introduit largement plus de mutations dans son génome lors de sa réplication au sein de chaque individu infecté et cela de manière régulière. Deux personnes infectées ne porteront donc pas exactement les mêmes variants de VIH sur la base des mutations sur le génome du virus », dit-il.
A en croire Dacquin M. Kasumba, ces variations résultant des mutations vont continuer d’émerger tant que ce virus circulera dans la population. « Tout ceci, pris ensemble, complique énormément le développement d’un vaccin efficace », dit-il. D’où la conviction de Vincent Muturi-Kioi qui pense qu’un vaccin sûr et efficace contre le VIH devra être celui qui suscite la production d’anticorps neutralisants à large spectre (bnAbs) contre le virus. « L’essai IAVI G001 a démontré qu’il est possible pour un vaccin d’engager des cellules B naïves spécifiques capables de produire des bnAbs. Nous sommes convaincus que cette approche contribuera à la production d’un vaccin sûr et efficace à l’avenir », assure-t-il.
Une autre démarche qu’explorent les chercheurs pour mettre au point un vaccin contre le VIH/sida est celle dite de l’immunisation passive. « Lors d’une infection, explique Roger Tatoud, des anticorps sont produits et sont censés neutraliser le virus ou aider l’organisme à s’en débarrasser. Mais, dans le cas du VIH, on n’observe pas cette réponse immunitaire de l’organisme. Dans certains cas, on voit des anticorps neutralisants capables de bloquer le virus chez un faible pourcentage de personnes infectées. On a réussi à isoler et caractériser ces anticorps et on les fabrique dans des usines spécialisées. Cette méthode consiste donc à prendre ces anticorps fabriqués et à les injecter directement chez des gens afin de voir s’ils peuvent prévenir l’infection ».
Cette approche qui fait actuellement l’objet d’études baptisées AMP[3] soulève un certain nombre de questions, parmi lesquelles la capacité de produire suffisamment d’anticorps, le coût de l’opération, le mode d’administration par voie intraveineuse qui n’est pas très pratique, etc. Des questions qui devront encore faire l’objet d’études approfondies…
Sauf que la COVID-19 est venue quelque peu mettre du plomb dans l’aile de toutes ces initiatives de recherche. « Ce qui s’est passé au début de la COVID-19, pendant la période de confinement, est que certaines études cliniques n’ont pas été lancées, d’autres ont été mises en pause, tandis que d’autres ont été arrêtées. Cette pandémie a donc eu pour effet de freiner la recherche des vaccins », indique Roger Tatoud.
Mais, de l’autre côté, Vincent Muturi-Kioi estime que la vitesse du développement du vaccin contre la COVID-19 pourrait accélérer les délais de développement du vaccin contre le VIH, notamment en établissant un plan pour une voie réglementaire accélérée.
« Nous nous attendons à ce que les innovations observées dans les vaccins COVID-19, telles que l’utilisation de plates-formes d’ARNm[4] et de vaccins à vecteur viral, aient un effet positif sur la disponibilité de nouvelles technologies pour le développement de vaccins contre le VIH », affirme l’intéressé. Ajoutant que l’IAVI poursuit par exemple l’utilisation d’une plate-forme d’ARNm dans l’essai IAVI G001.
Julien Chongwang
[1] HIV Vaccine Trials Network (HVTN)
[2] Broadly neutralizing antibodies