La grande complexité du plasmodium falciparum, le parasite responsable du paludisme, explique la difficulté qu’il y a à produire un vaccin contre cette maladie. Mais, le bout du tunnel semble proche…
La rapidité avec laquelle des vaccins ont été mis au point contre la COVID-19 n’a pas manqué de susciter des interrogations un peu partout en Afrique où on se demande pourquoi le paludisme qui décime des centaines de milliers de personnes chaque année depuis plusieurs décennies n’a pas encore son vaccin.
En réponse, les spécialistes indiquent que cette situation est essentiellement due à la complexité du parasite responsable de cette maladie. Chez GAVI (l’Alliance du vaccin), un porte-parole indique que « certains des obstacles au développement d’un vaccin contre le paludisme incluent l’absence d’un marché traditionnel pour le vaccin et la complexité technique du développement de tout vaccin contre un parasite ». « Les parasites du paludisme sont plus complexes que les coronavirus », ajoute-t-il.
Mary Hamel épidémiologiste travaillant sur le paludisme à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) apporte davantage de précisions sur cette complexité du plasmodium falciparum, le parasite responsable de cette maladie. « Il a plus de 500 gènes, dit-elle. Donc, c’est un organisme très complexe. En cela, il est différent d’un virus ou même d’une bactérie qui sont beaucoup plus simples. Et beaucoup de ces gènes sont là spécifiquement pour échapper à la réponse immunitaire. Donc, vous pouvez imaginer la difficulté qu’il peut y avoir à concevoir un vaccin contre un organisme qui travaille pour échapper au vaccin ».
Cette complexité s’observe aussi dans le cycle de vie même de ce parasite qui connaît une phase de reproduction asexuée (capacité des organismes vivants de se multiplier seuls (sans partenaires mâles ou femelles) chez l’homme et une phase sexuée chez l’anophèle, le moustique vecteur de la maladie. Selon un article publié sur le site web de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) basé en France, la reproduction asexuée du plasmodium chez l’humain comprend elle-même deux périodes.
Réponse immunitaire
« La première débute immédiatement après une piqûre par une anophèle femelle infectée. Le parasite transite très rapidement de la circulation sanguine aux cellules du foie dans lesquelles il commence à se répliquer. Cette phase, dite “pré-érythrocytaire”, est asymptomatique , peut-on lire dans ce texte. « Après quelques jours, poursuit l’article, les cellules hépatiques infectées libèrent de nombreux parasites dans la circulation sanguine. Débute alors l’envahissement des globules rouges où se déroule une nouvelle phase de réplication, dite “érythrocytaire”. Les symptômes du paludisme apparaissent alors, notamment en raison de la destruction des globules rouges lors de la libération de nouveaux parasites. »
Selon cette même source, la reproduction sexuée se produit quant à elle lorsqu’un moustique pique une personne porteuse du Plasmodium : le parasite se multiplie alors dans l’intestin de l’anophèle, puis rejoint les glandes salivaires de l’insecte d’où il peut être transmis à un autre individu à l’occasion d’une nouvelle piqûre.
Mary Hamel fait savoir qu’à chacune de ces étapes de son cycle de vie correspond une forme différente du parasite. Et de s’interroger : « Quelle forme va réellement cibler le vaccin ? C’est une situation très compliquée ». Pour illustrer cette difficulté, cette dernière établit une comparaison avec la rougeole. Quand vous attrapez la rougeole, explique la chercheure, vous ne l’attrapez plus. Votre organisme produit une très solide réponse immunitaire. Et la prochaine fois où vous êtes exposé au virus de la rougeole, votre organisme, vos cellules-mémoires et votre système immunitaire l’attaquent. « Or, avec le paludisme, vous l’avez quand vous êtes jeune et vous pouvez être gravement malade et même en mourir. Si vous guérissez, vous pouvez l’attraper encore et encore, et à chaque fois, vous pouvez en mourir », dit-elle.
Financement
Ainsi, selon les explications de Mary Hamel, on a un bon vaccin contre la rougeole parce que l’on peut voir la réponse des anticorps. Mais, avec le paludisme, nous ne savons pas où se trouve ce marqueur qui devrait permettre d’avoir un vaccin. D’où la conclusion du porte-parole de GAVI : « la réponse immunitaire à l’infection palustre est mal comprise ».
Mais, n’y a-t-il pas aussi un problème de financement de la recherche d’un vaccin contre le paludisme ? Les chercheurs ont du mal à y répondre. Cependant, Mary Hamel l’épidémiologiste de l’OMS analyse : « nous avons tous été témoins de ce qui s’est passé avec les vaccins contre la COVID-19. Qui aurait imaginé que le monde entier se réunirait et mettrait autant d’argent sur la table pour fabriquer un vaccin en moins d’un an ? Je suppose que si nous avions un tel énorme investissement, le développement d’un vaccin contre le paludisme aurait été accéléré. Et donc, il y a des obstacles d’ordre scientifique et d’ordre financier ».
Du côté de GAVI, on abonde pratiquement dans le même sens. Un porte-parole affirme que « les vaccins contre la COVID-19 ont été développés si rapidement en raison d’années de recherches antérieures sur les virus connexes, de moyens plus rapides pour fabriquer des vaccins, d’un financement suffisant qui a permis aux fabricants d’effectuer plusieurs essais en parallèle et de régulateurs évoluant plus rapidement qu’à la normale ».
Vaccin pilote
L’organisation préfère néanmoins s’appesantir sur les leçons qu’enseigne cette situation. Elle estime en effet que l’expérience du vaccin anti-COVID-19 a montré à quelle vitesse le développement d’un vaccin peut se dérouler lorsqu’il existe une véritable urgence et cohésion mondiale ainsi que des ressources suffisantes. Elle montre aussi que le processus de développement de vaccins peut être considérablement accéléré sans compromettre leur sécurité.
Au passage, les acteurs de la lutte contre le paludisme rappellent qu’il existe actuellement des projets de vaccins contre cette maladie et qui sont à une phase avancée de leur développement. C’est le cas de R21/Matrix-M, un candidat vaccin qui a montré un taux d’efficacité de 77% lors des essais de phase 2 et qui subit actuellement des essais de phase 3. Ce au terme de ces essais que ce vaccin pourra être adopté si son efficacité est confirmée lors des essais de phase 3.
C’est surtout le cas de RTS,S qui est considéré à ce jour comme l’unique vaccin disponible contre le paludisme. Il fait d’ailleurs déjà l’objet d’une utilisation pilote au Malawi, au Kenya et au Ghana où plus de 1,8 millions de doses ont déjà été administrées à plus de 700 000 enfants de moins de cinq ans. « D’ici la fin de cette année, l’OMS va analyser les informations provenant de ce programme pilote pour déterminer si le vaccin devra être recommandé à travers l’Afrique subsaharienne », indique Mary Hamel.
Fabriqué par le géant pharmaceutique britannique GSK, le vaccin RTS,S, qui nécessite quatre doses jusqu’à l’âge de deux ans environ, est ainsi en passe de devenir la clé pour prévenir le paludisme (4 cas prévenus sur 10) et le paludisme grave (3 sur 10), et pour sauver davantage de vies. Notamment en Afrique où se recrute la majorité des 409 000 décès dus au paludisme dans le monde en 2019.
Au regard des enseignements tirés du développement des vaccins anti-COVID-19, les chercheurs pensent qu’il y aura davantage de vaccins contre le paludisme dans le futur. En effet, « nous avons également vu de nouvelles façons de fabriquer des vaccins, par exemple en utilisant l’ARN[1] messager (ARNm). Nous pensons qu’il y a ici des leçons importantes qui pourraient aider dans la lutte contre le paludisme », souligne un porte-parole de GAVI.