Cette résistance déjà enregistrée dans quelques pays du continent se traduit simplement par un rallongement des délais de guérison. Mais on redoute qu’à long terme, qu’elle conduise à l’inefficacité totale du traitement.
Les experts de la lutte contre le paludisme ne cachent plus leur inquiétude face à la montée de la résistance que le plasmodium falciparum, l’agent pathogène responsable du paludisme, oppose depuis quelque temps à l’artémisinine, la composante au cœur des ACTs (Artemisinin-based combination therapy – combinaison thérapeutique à base d’artémisinine), seuls médicaments véritablement efficaces contre le paludisme aujourd’hui. Des chercheurs ont mis en évidence cette résistance en Ouganda dans un article paru dans le New England Journal of Medicine (NEJM) en septembre 2021. Une telle résistance était déjà connue dans la vallée du Mékong en Asie du Sud-Est où les pays sont près de l’élimination du paludisme. La résistance dans une zone où le paludisme est endémique est vraiment inquiétante pour le contrôle de la maladie.
Elisabeth Juma, spécialiste de santé publique au bureau de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’Afrique, tient cependant à souligner que comme leur nom l’indique, les ACT sont une combinaison de médicaments dans laquelle l’artémisinine est associée soit à l’amodiaquine, soit à la lumefantrine. « La résistance dont il est question est une résistance partielle ; car, elle touche l’artémisinine et non le médicament partenaire. Donc, ce n’est pas correct de parler de résistance aux ACT», explique-t-elle.
Matthew Coldiron, chercheur à Epicentre, la branche de Médecins sans frontières (MSF) dédiée à la recherche médicale, explique que l’efficacité des ACT était telle qu’après 24 heures, on ne retrouvait plus de parasite dans le sang du patient. Mais, poursuit-il, le premier signe de cette résistance a été de constater que les délais de cette élimination sont maintenant un peu plus longs. « On s’est rendu compte qu’au lieu de débarrasser le sang de ce parasite en 24 heures, c’était maintenant 36 ou 48 heures. Et c’est très ennuyeux pour les chercheurs que nous sommes », dit-il.
Eclairages
Ce qui dérange n’est pas que ce serait la première fois que la communauté scientifique est confrontée à la résistance du plasmodium falciparum aux antipaludéens. Car, c’est déjà à cause de ce même problème de résistance que certains médicaments comme la chloroquine et le Fansidar, autrefois utilisés contre le paludisme, ont perdu leur efficacité et ont cessé d’être administrés en première intention en Afrique. Mais, ce qui donne des sueurs froides aux experts est que pour la première fois, une forme de résistance a pris naissance en Afrique, principal foyer du paludisme au monde. « Ce qui s’était passé pour la chloroquine et le Fansidar, c’est que la résistance était apparue en Asie avant de se propager pour atteindre l’Afrique plus tard. Et cela avait pris une vingtaine d’années », explique Matthew Coldiron.
Selon les éclairages de ce dernier, la communauté scientifique savait que les résistances à l’artémisinine existent en Asie du Sud-Est (Vietnam, Thaïlande, Cambodge, Laos) depuis 2005 et s’attendait à ce que ces mutations se propagent et atteignent l’Afrique dans cinq ou dix ans. Mais, ce qu’il y a d’inédit est que les mutations que l’on a enregistrées récemment en Ouganda et au Rwanda et qui entraînent la résistance à l’artémisinine sont nouvelles. « Celle qui a émergé en Ouganda n’est pas la même mutation enregistrée en Asie. Et la mutation observée au Rwanda n’est pas non plus la même que celle de l’Ouganda ; mais, elles ont le même résultat. »
Les experts mettent l’émergence de ces résistances sur le compte de la tendance naturelle des parasites à trouver les moyens d’échapper au système immunitaire de l’organisme et aux médicaments censés les combattre. Mais, Philippe Guérin, directeur de l’Infectious Diseases Data Observatory (IDDO – Observatoire des données sur les maladies infectieuses), pense qu’il y a certaines circonstances qui ont pu favoriser l’apparition de ces résistances. Parmi ces circonstances, il cite notamment l’utilisation de faux médicaments.
« Les médicaments falsifiés qui n’ont pas du tout d’action antipaludique sont indirectement un risque parce que les patients ne vont pas être traités et leur parasitémie va augmenter. Or, plus on a une parasitémie élevée, plus le traitement suivant va être difficile et donc, on facilite indirectement la résistance » explique Philippe Guérin.
Combinaison
Ce dernier ajoute que les médicaments de mauvaise qualité qui sont sous-dosés pourraient aussi favoriser l’émergence de résistances. Une hypothèse qu’Elisabeth Juma confirme en indiquant que « lorsque le parasite est exposé à une dose insuffisante du médicament, il peut apprendre à y survivre ».
L’intéressée rappelle d’ailleurs au passage que « pour le cas de l’Asie du sud-est, cette résistance à l’artémisinine peut être due au fait que chaque personne malade se rendait directement à la boutique et achetait simplement de l’artémisinine qu’elle consommait. Or, la raison pour laquelle on a adopté la combinaison est de retarder l’apparition de la résistance ».
Pour l’heure, il est difficile d’avoir une idée précise de l’ampleur de la résistance aux ACT en Afrique. L’Ouganda, le Rwanda, l’Erythrée, le Mali, le Burkina Faso et l’Ouganda sont quelques-uns des pays où cette résistance a déjà été mise en évidence sur le continent. « Mais, souligne Philippe Guérin, il est possible qu’une telle résistance existe ailleurs et que simplement on n’en soit pas informé. Donc, il est extrêmement important de renforcer notre capacité de surveillance de la résistance aux antipaludiques pour savoir quelle est l’étendue du problème aujourd’hui en Afrique. »
Elisabeth Juma affirme que c’est précisément la raison pour laquelle l’OMS invite les pays à soumettre les antipaludiques qu’ils administrent à une surveillance d’efficacité. « Cela signifie que lorsque vous recevez des patients atteints de paludisme, vous leur donnez les médicaments et vous surveillez le rythme auquel le parasite diminue chaque jour dans leur organisme jusqu’à ce qu’il disparaisse complètement. Puis, vous les suivez jusqu’à 28 jours ou jusqu’à 42 jours. Enfin, vous réalisez un nouveau test pour voir si la maladie est complètement finie ou si elle est revenue. »
Nouveaux médicaments
C’est cet exercice qui a permis au Rwanda et à l’Ouganda de constater la présence sur leurs territoires de cette mutation du parasite ayant ce gène qui la rend résistante à l’artémisinine. Les experts martèlent que si cette surveillance n’est pas effectuée, on ne sera pas au courant de l’existence de cette résistance. « Tout simplement parce que avoir cette résistance partielle aux ACT ne veut pas dire qu’on ne sera pas guéri de la maladie. Le médicament partenaire continue d’agir et on va guérir, mais dans un délai un peu plus long qu’avant. Donc, même si les patients continuent de guérir, il est important pour nous de savoir comment ce phénomène s’étend », explique Elisabeth Juma.
Actuellement, à l’OMS comme dans les autres organisations travaillant dans la lutte contre le paludisme, la plus grande crainte est de voir cette résistance toucher aussi les médicaments partenaires de l’artémisinine. Et tous pensent que cela arrivera tôt ou tard. Ce qui signifierait que le médicament ne pourra plus guérir les patients. D’où l’appel unanime à mettre sur pied de nouveaux médicaments en plus des méthodes habituelles de prévention.