À l’échelle mondiale, les nouvelles infections par le VIH ont diminué de 44 % entre 2000 et 2021, manquant ainsi l’objectif mondial de réduction de 75 % des nouvelles infections d’ici 2020. Le Groupe technique de référence en évaluation (TERG) du Fonds mondial a publié en mai 2021 une revue thématique sur la prévention primaire du VIH , afin de contribuer aux discussions sur la stratégie 2023-2028 du Fonds mondial. Cette revue demeure cruciale au moment où le Fonds mondial aborde la question de la mise en œuvre de la stratégie nouvellement adoptée. Le TERG a formulé neuf recommandations dans trois domaines: (i) le financement, les capacités et les systèmes du Fonds mondial ; (ii) la facilitation de la programmation et de la mise en œuvre par les pays ; et (iii) le suivi-évaluation et les partenariats. Le présent article se penche partiellement sur la recommandation (ii), en avançant la thèse selon laquelle un cadre qui articule de manière proactive la stratégie du comment dans les plans stratégiques nationaux (PSN) ainsi que la mise en œuvre de celle-ci, pourrait constituer un point de départ…
La revue thématique souligne qu’au niveau national, la prévention du VIH repose sur une mobilisation adéquate des ressources intérieures , une formulation claire des actions de prévention du VIH dans les PSN, et des composantes de prévention du VIH bien définies ainsi que les budgets correspondants lors de l’octroi des subventions, entre autres. À notre avis, les pays ont besoin de recourir davantage à l’analogie populaire “du travail en amont” afin de définir clairement les systèmes de prévention des nouvelles infections par le VIH, de s’accorder sur ces derniers et de les mettre en œuvre à grande échelle. Influencer les politiques et la législation, et changer positivement les pratiques organisationnelles à travers les différents niveaux hiérarchiques des pays semblent être des mesures faciles à mettre en œuvre pour les décideurs politiques. Par exemple, en faisant preuve de volonté politique, les pays pourraient faciliter les pratiques organisationnelles qui permettent aux actions de prévention du VIH de se répandre dans toutes les structures et de se déployer en cascade jusqu’au niveau communautaire. Le “matériel” – les systèmes et les structures – et le “logiciel” – la culture, le comportement, les attitudes et l’autonomisation des communautés – doivent tous fonctionner en synergie pour une riposte efficace dans le cadre de la prévention primaire du VIH.
Conformément à la nouvelle stratégie 2023-2028 du Fonds mondial, qui place désormais la communauté au centre des actions, les pays doivent travailler sur le comment et appliquer des stratégies claires qui produisent des résultats. Promouvoir les coalitions et les réseaux qui soutiennent les efforts de prévention primaire du VIH est une importante stratégie, tout comme rompre avec le mode de fonctionnement habituel. Le renforcement de la résilience des familles et des communautés est un pilier essentiel de l’appropriation. Comme le relèvent Dorfman, Wallack et Woodruff “de nombreux problèmes sanitaires et sociaux sont liés à des conditions qui échappent au contrôle direct de l’individu. Une approche limitée au changement de comportement des individus constitue en fin de compte un échec pour nous en tant que société, car elle restreint de manière inappropriée les potentielles solutions.” Ainsi, en construisant une communauté résiliente, la responsabilité repose sur l’ensemble de la communauté en ce qui concerne la mise en place de moyens qui, à terme, prospèreront et permettront de soutenir l’émergence des atouts et des forces de la communauté.
De par sa définition, la prévention primaire est proactive et vise à réduire les conséquences en aval. Dans cette optique, les pays pourraient aborder le comment en mettant en place des structures qui permettent la prévention des problèmes sociétaux affectant les femmes, les adolescentes et les jeunes femmes, y compris les populations clés et vulnérables (PCV) au sein desquelles se produisent certaines des nouvelles infections par le VIH. Les obstacles structurels, l’inégalité entre les sexes, la violence sexiste et les lois qui réduisent l’accès aux services doivent également être pris en compte. Apprendre aux prestataires de services à être sensibles aux besoins de la population permet d’identifier rapidement les préoccupations et les inquiétudes de la population ciblée, de mettre en place des solutions appropriées et d’augmenter ainsi le taux d’utilisation des services.
Les données de l’ONUSIDA montrent que l’Afrique représente près de 70 % de la charge de morbidité du VIH et que les nouvelles infections par le VIH restent relativement élevées sur le continent. Pourtant, des lois punitives discriminatoires à l’égard de certaines catégories de la population existent toujours. Par exemple, le rapport 2021 de l’ONUSIDA montre que 25 % des nouvelles infections au VIH en Afrique surviennent chez les adolescentes et les jeunes femmes âgées de 15 à 24 ans et que le VIH reste essentiellement lié au genre, 63 % des nouvelles infections se produisant chez les femmes. Bien que les PCV représentent une proportion relativement faible comparativement, les programmes les concernant doivent bénéficier de l’attention requise et être intensifiés. Par sous-groupes de population, 39% des nouvelles infections concernaient des populations clés (professionnel(le)s du sexe – 12% ; consommateurs de drogues injectables – 1% ; hommes homosexuels et autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes – 6% ; femmes transsexuelles – 1% ; et clients des professionnel(le)s du sexe et partenaires sexuels de toutes les populations clés – 19%), tandis que les 61% restants provenaient des populations autres que les PCV.
Une donnée inquiétante mise en évidence dans le document de position est l’absence d’estimations de la taille des populations de PCV dans de nombreux pays africains. Cette situation est préoccupante dans la mesure où des discussions sur les estimations de taille sont en cours depuis plus d`une décennie maintenant. Il est nécessaire de formuler clairement les défis auxquels les pays sont confrontés, ainsi que les solutions qu’ils jugent possibles. Le moment est peut-être venu pour le Fonds mondial de travailler avec les pays afin de déterminer de manière durable si les estimations de la taille des populations constituent un domaine nécessitant une assistance technique ou si ce sujet est toujours à l’ordre du jour.
Le document de position relève l’importance de l’intégration des services dans le cadre de la santé maternelle et infantile et des services et droits en matière de santé sexuelle et génésique. Le rôle du renforcement du partenariat au niveau mondial et régional dans le cadre de la Santé de la reproduction, de la mère, du nouveau–né, de l’enfant et de l’adolescent(e) est clairement mentionné. Malheureusement, le document ne reconnaît pas les approches de prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant (PTME) comme une prévention primaire. Au contraire, les adolescentes et jeunes femmes, la programmation des préservatifs, la circoncision masculine médicale volontaire, la prévention pré-exposition et les PCV sont mentionnées de manière catégorique. De notre point de vue et par voie de déduction, la PTME est une intervention en amont qui permet de réduire la charge morbidité dans l’avenir. Toutes les infections ne se produisent pas au stade de l’adolescence, car certaines sont le résultat d’opportunités manquées lors des interventions de PTME. La promotion de l’éducation et de la sensibilisation de la communauté dans les milieux maternels ainsi que dans la communauté pourrait aboutir à une baisse substantielle des cas de transmission verticale, réduisant ainsi la charge de morbidité du VIH dans les groupes plus âgés.
La difficulté à conceptualiser la prévention est un problème qui subsiste et qui explique peut-être pourquoi les efforts de prévention du VIH ne reçoivent pas l’attention qu’ils méritent. L’une des caractéristiques de la prévention primaire réside dans le fait qu’elle est invisible au niveau individuel, bien que son impact au niveau de la population puisse être quantifiable et considérable. Les pays doivent donc définir collectivement dans leur PSN ce qu’ils entendent par prévention et quels sont ses indicateurs de performance. En outre, les pays devront définir une variété de domaines dans lesquels la prévention primaire du VIH pourrait être mise en œuvre.
En conclusion, les schémas directeurs ne sont pas une fin en soi, mais un moyen de parvenir à une fin. Une stratégie n’est bonne que si elle est mise en œuvre avec fidélité. La prévention primaire du VIH ne constitue pas à elle seule la solution miracle à la lutte contre le VIH. Elle n’en reste pas moins la principale méthode que nous pouvons employer pour réduire l’incidence du VIH. Lorsqu’elle est associée à d’autres méthodes telles que le traitement et qu’elle cible une large population, l’on observe une baisse encore plus importante des nouvelles infections dans les pays. Il est donc question que les pays définissent la stratégie du comment dans leur PSN et s’engagent résolument à mettre en œuvre la prévention primaire du VIH.
Paul Nesara