Le 6 mars 2024, s’est tenue à Yaoundé, Cameroun, la conférence « Lutter contre le paludisme dans les pays les plus durement touchés par le paludisme », ayant pour objet de renforcer les engagements politiques et financiers en faveur d’une riposte accélérée contre le paludisme dans les pays concernés, au nombre de 12 dont 11 se trouvent sur le continent africain.
Le Cameroun, pays hôte de ladite conférence, compte parmi les pays les plus durement touchés. Dans le cadre de la lutte contre ce fléau, le pays fait figure de pionnier dans le lancement du vaccin antipaludique RTS,S, dont le développement a nécessité 30 ans de recherche de la part du fabricant britannique de médicaments GSK, et qui a été approuvé par l’OMS. Ce vaccin cible le parasite Plasmodium falciparum, responsable du type de paludisme le plus dangereux.
Son déploiement fait suite à des campagnes pilotes réussies au Kenya, au Ghana et au Malawi, où le vaccin a entraîné une baisse de 13 % des décès dus au paludisme chez les enfants en âge d’éligibilité (à partir de 5 mois), selon l’Unicef.
L’expérience du Cameroun, qui a fait l’objet d’une présentation au cours de la conférence ministérielle, comporte aussi bien des défis que des leçons à retenir.
Situation épidémiologique
Le paludisme demeure la principale cause de consultations et d’hospitalisations au Cameroun, qui fait partie des onze pays (Burkina Faso, Cameroun, République démocratique du Congo, Ghana, Inde, Mali ,Mozambique, Niger, Nigéria, Ouganda, République-Unie de Tanzanie) subissant 70% du fardeau du paludisme dans le monde, et touche particulièrement les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes.
Selon les données provenant de la présentation de l’expérience du Cameroun sur le déploiement du vaccin antipaludique au mois de janvier 2024,
Le taux de prévalence de la maladie est de 26,1% (MIS 2022),
Elle représente 30% des causes de consultations (Rapport 2021 du programme national de lutte contre le paludisme (PNLP)),
50% des hospitalisations dans les formations sanitaires sont dues au paludisme,
2,9 millions de cas de paludisme et 1756 décès liés au paludisme ont été enregistrés dans les formations sanitaires en 2023.
En matière de prévention, le Cameroun met en œuvre des interventions à haut impact, notamment, la distribution de moustiquaires imprégnées d’insecticides à longue durée d’action (MILDA) en campagne de masse et en routine aux femmes enceintes et aux enfants, l’administration du traitement préventif intermittent aux femmes enceintes, la campagne de chimioprophylaxie saisonnière sur une base annuelle dans les régions de l’Extrême-Nord et du Nord caractérisées par une transmission saisonnière, et l’introduction du traitement préventif intermittent chez les enfants depuis 2022.
Approche d’introduction du vaccin par le Programme élargi de vaccination (PEV)
La collaboration avec le Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP) a été vitale dans la planification et l’introduction du vaccin car le PNLP est doté d’une grande expertise et dispose d’une importante base de données.
Les zones à haute incidence et à mortalité élevée ont été identifiées comme ayant le plus grand besoin du vaccin dans les 42 districts de santé prioritaires que comptent les 10 régions du pays, pour le déploiement du vaccin.
En outre, une intégration du traitement préventif intermittent (TPI) et des MILDA dans le calendrier du PEV a davantage facilité la communication aux populations, de l’introduction d’un nouveau vaccin.
Hésitation vaccinale
L’introduction du vaccin a fait l’objet dès le départ de critiques et de doutes de la part du public qui n’était pas convaincu de sa sécurité et de son efficacité et ne comprenait pas pour quelle raison le Cameroun se positionne comme le premier pays à le déployer, faisant à son avis office de cobaye. Une rapide évaluation transversale a révélé que la réticence au vaccin était plus manifeste dans les communautés urbaines. Ainsi, l’introduction du vaccin a été reportée de décembre 2023 à janvier 2024.
Pour remédier à la situation, le Ministère de la santé a mis en place une équipe d’experts chevronnés dans la lutte contre le paludisme aux niveaux national et infranational en vue de communiquer au sujet du vaccin par le biais de toutes les plateformes disponibles dont les réseaux sociaux.
Déploiement et adhésion au vaccin
La plateforme existante au niveau du PEV a permis d’acheminer et de conserver le vaccin jusqu’au dernier kilomètre sans coûts supplémentaires. Le vaccin s’administre en 4 doses, à savoir, à 6 mois, 7 mois, 9 mois et 24 mois. Il était crucial de renforcer la communication pour convaincre les parents d’amener leurs enfants à la vaccination pour recevoir la première dose. Cette communication devra être maintenue en vue de faire respecter le rendez-vous pour la 2ème dose administrée à 7 mois car il s’agit d’une étape inhabituelle.
A la fin du premier mois, le taux de couverture se situait autour de 20%, amenant les responsables à procéder à une supervision intégrée qui a permis d’identifier les lacunes et de mettre en œuvre des mesures adaptées pour l’amélioration du taux de vaccination et du reporting. Le taux de couverture a ainsi doublé le mois suivant.
Coordination, suivi et évaluation
Le ministre de la Santé, Dr. Manaouda Malachie a mis en place un comité de coordination nationale qui a guidé la préparation. Le PEV et le PNLP coordonnaient des activités de coaching et de suivi préalables à l’introduction du vaccin sur une base hebdomadaire, à l’aide d’un tableau de bord national de préparation. Cette démarche a impliqué l’Etat et toutes les organisations partenaires (Gavi, OMS, UNICEF, Fonds mondial, PMI, CDC, USAID, et les OSC) qui soutiennent le processus de déploiement du vaccin. Cette coordination était cruciale pour mettre à contribution tous les acteurs et assurer une solide préparation du pays au déploiement du vaccin. Après la vaccination, un tableau de bord de suivi de l’OMS permettait de contrôler le taux de couverture journalier et de donner des orientations.
Défis
Au nombre des défis rencontrés, figurent une allocation limitée des vaccins entraînant un risque de rupture, l’adhésion de la communauté à la vaccination dans un contexte d’infodémie (propagation rapide et large d’un mélange d’informations à la fois exactes et inexactes sur la maladie), les nouveaux rendez-vous pour la vaccination (6 et 7 mois) qu’il faut faire accepter et respecter, le suivi de l’effectivité de l’introduction du vaccin antipaludique dans tous les 42 districts de santé prioritaires, la collecte et la gestion des données pour le partage rapide des premiers résultats.
En outre, certains parents cherchaient à faire vacciner leurs enfants ayant dépassé l’âge cible et les populations posaient régulièrement la question de savoir pour quelles raisons la vaccination ne concerne pas tous les districts qui sont au nombre de 203 au total.
Perspectives
Il est envisagé d’étendre l’introduction du vaccin antipaludique à tous les districts. En ce qui concerne l’extension de la tranche d’âge ciblée à l’introduction du vaccin, des directives supplémentaires écrites seront nécessaires, ainsi que l’assurance d’un approvisionnement suffisant.
Une plus grande implication des communautés en vue de mener des actions de sensibilisation et des campagnes d’éducation des parents et des tuteurs sur l’importance de la vaccination est nécessaire pour assurer la réussite du déploiement du vaccin antipaludique à plus grande échelle dans le pays. Ces actions peuvent être entreprises par le biais de canaux habituels, telles que des réunions communautaires, des programmes de radio locale et des visites à domicile entre autres.