Le 19ème Sommet de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) s’est tenu à Paris, en France, le 7 et le 9 octobre 2024. La même semaine, en Suisse voisine, le Fonds mondial de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme tenait ses 26èmes réunions de comités. La France, dont la langue est partagée par l’OIF et ses 88 États members dont 29 pays africains, est le deuxième plus grand contributeur au Fonds Mondial et l’Afrique subsaharienne reçoit environ 70 % des ressources de ce dernier. L’anglais est la langue de travail du Fonds mondial et, à ce titre, les réunions des comités se déroulent exclusivement en anglais, sans aucun service d’interprétation, dans un souci apparent de minimiser les coûts. Malheureusement, cette situation est un handicap pour les francophones, en particulier les africains. En effet, le Fonds mondial investit environ de 24% de ses ressources en Afrique francophone et d‘ici 2050, l’Afrique abritera 90% de la jeunesse francophone mondiale et sera le continent le plus peuplé du monde.
Le present article a pour objet de mettre en relief l’importance du français au sein du Fonds mondial et le soutien qu’Expertise France, par l’intermédiaire de son programme L’Initiative, apporte aux deux circonscriptions africaines du Fonds mondial par l’intermédiaire du Bureau de la circonscription africaine. L’Initiative est financée par la réserve de la France auprès du Fonds mondial; autrement dit, le programme reçoit un pourcentage des fonds engagés pour soutenir le Fonds mondial et finance directement des interventions qui soutiennent les activités du Fonds mondial.
Créé par les ministres africains de la Santé en 2012 et opérationnel depuis 2017, le Bureau de la circonscription africaine (BCA) facilite l’engagement entre les 23 circonscriptions de l’Afrique de l’Est et australe (AEA) et les 23 circonscriptions de l’Afrique de l’Ouest et du Centre (AOC), et la gouvernance du Fonds mondial. Hébergé par CDC Afrique, le BCA a pour but de renforcer la représentation et l’influence de l’Afrique dans les processus du Fonds mondial.
Depuis 2018, le Bureau de la Circonscription Africaine (BCA) est soutenu par le financement de L’Initiative, qui représente environ 40 % de son budget. Ce soutien permet de couvrir principalement les salaires du personnel technique, y compris celui de l’auteur de cet article, ainsi que l’organisation de réunions de concertation axées sur les pays francophones, de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. En contrepartie, les analyses et autres activités du BCA soutiennent directement la dizaine de membres africains qui participent à la gouvernance du Fonds mondial, en plus des Instances de coordination nationale (ICN) et des principaux/sous-récipiendaires de 46 pays d’Afrique. De manière indirecte, le travail du BCA bénéficie à environ 1,4 milliard d’africains affectés par le VIH, la tuberculose et le paludisme, ainsi qu’aux ministères de la santé locaux et aux organisations de la société civile qui travaillent tous de concert pour améliorer les résultats en matière de santé sur l’ensemble du continent.
Tout au long de la mise en œuvre de la dernière subvention, le BCA a soutenu les membres du Conseil d’administration à obtenir d’importantes victoires au sein du Fonds mondial pour les deux circonscriptions. Parmi celles-ci, on peut citer l’attention accrue portée au renforcement des systèmes de santé, la prolongation de la période d’utilisation des fonds pour le mécanisme de riposte à la COVID-19 (C19RM), et l’attention renforcée concernant les pays qui évoluent dans des contextes d’intervention difficiles (CID), suivie d’une révision de la politique de sauvegarde additionnelle (PSA).
Il est à noter que les ressources que L’Initiative met à la disposition du BCA ne sont pas assorties de conditions liées à la position des circonscriptions.
L’ article 17 de la déclaration rendue publique à l’issue du sommet de l’OIF stipule que « pour faire face de manière plus efficace aux pandémies, nous préconisons de renforcer la formation en langue française dans le domaine de la santé par l’utilisation d’outils numériques, et nous saluons à cet égard les efforts nationaux et multilatéraux, notamment au sein de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Genève, qui ouvrira cette année son centre de formation continue, l’Académie de l’OMS, à Lyon, ainsi que l’accord de coopération signé entre l’OIF et l’OMS en 2021” Cet appel est important compte tenu de l’épidémie actuelle du virus de Marburg au Rwanda et des épidémies d’Ebola qui l’ont précédée en RDC et en Afrique de l’Ouest. Il est essentiel que le français soit entendu et compris dans les initiatives mondiales pour la santé. Les plateformes actuelles ne disposent souvent pas de ressources multilingues, ce qui fait obstacle aux contributions substantielles des locuteurs africains du français, comme l’ont déjà souligné plusieurs acteurs. Les comités techniques du Fonds mondial tiennent leurs réunions exclusivement en anglais, ce qui crée des obstacles supplémentaires pour les non-anglophones.
Au moment où le Fonds mondial ouvre l’appel à candidature pour la prochaine cohorte de membres de comités, le BCA peut déjà prédire le silence regrettable et l’invisibilisation des voix francophones. Car notons le, pour bien représenter l’AOC et les pays francophones au sein du Fonds mondial, le représentant doit être imprégné des réalités des francophones de la région, être un leader (à la retraite) dans son domaine et être un excellent locuteur de la langue anglaise. Demander à un dirigeant francophone qui n’est pas capable de parler l’anglais presque comme sa langue maternelle de représenter les africains au sein d’un Fonds mondial anglophone est préjudiciable à l’Afrique et au Fonds mondial. Cette situation a pour effet de réduire au silence ou de fragiliser les voix et les expériences africaines francophones. Il peut être bénéfique de reconsidérer l’approche adoptée vis-à-vis des communautés francophones d’Afrique, étant donné que ces communautés sont importantes, avec plus de 400 millions de personnes, et que le Fonds mondial alloue plus de 20 % de ses ressources à leurs pays. Ce processus pourrait garantir le caractère inclusif et équitable de l’action du Fonds mondial, qui peut être actuellement perçu comme un manque à l’égard de ces communautés. De nombreux membres de communautés, d’OSC et de dirigeants gouvernementaux compétents pourraient apporter une véritable bouffée d’air frais et une nouvelle perspective au Fonds mondial.
N’existe-t-il pas d’avancées technologiques qui permettraient de résoudre ce problème tout en tenant compte des coûts ?
Comme le souligne Monsieur Eric Fleutelot, Directeur Technique du département santé, pôle grandes pandémies à Expertise France, l’importance de la contribution française et francophone au Fonds mondial est cruciale. Click & Tweet! Il précise : « L’enjeu de la francophonie dans la riposte mondiale contre le VIH, la tuberculose et le paludisme va bien au-delà de la contribution française ou de celles d’autres pays francophone ! C’est la langue de travail de nombreux pays soutenus par le Fonds mondial, c’est la langue de travail des acteurs de nombreux pays francophones ; aujourd’hui, dans un monde où l’anglais domine, il convient de favoriser le multilinguisme pour que chaque pays, chaque acteur puisse contribuer de façon efficace au partenariat du Fonds mondial. »
A la question de savoir comment l’engagement de la France et l’approche culturelle et linguistique unique du Fonds mondial contribuent-ils concrètement à l’amélioration des systèmes de santé dans les pays francophones ? Il explique que dans le cadre de L’Initiative « de nombreux pays francophones bénéficient d’un appui technique et financier additionnel et complémentaire, essentiel pour renforcer leurs systèmes de santé. Cette contribution s’étend bien au-delà du simple financement, elle intègre aussi une approche culturelle et linguistique singulière, où les pays s’appuient de façon réciproque, dans une approche de décolonisation de l’aide. Cela permet aux acteurs locaux de mieux comprendre et appliquer les stratégies du Fonds mondial. »
Le BCA plaide en faveur d’une plus grande inclusion des francophones afin de garantir des perspectives diverses et d’améliorer les performances en fonction des besoins spécifiques de la région. Click & Tweet!Christelle Muvunyi