La santé représente depuis longtemps un sujet aussi complexe que tragique en Afrique. En avril 2001, les gouvernements de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et d’autres États membres de l’Union africaine se sont réunis à Abuja, au Nigéria, et ont signé la déclaration d’Abuja relative à la santé en Afrique. Il s’agissait d’un moment historique, dans la mesure où l’Afrique s’engageait à nouveau à éliminer les crises sanitaires ravageant le continent.
Chaque pays signataire a accepté de hisser la santé publique au sommet de ses priorités nationales. À cette époque, il était difficile d’ignorer les questions de santé. Des décennies interminables de crises de santé publique successives ont prouvé que le développement socio-économique et politique était sans cesse retardé par la maladie, les incapacités et la mort. Selon l’Organisation mondiale de la santé (2011), la déclaration comportait comme principal élément l’engagement contraignant d’allouer au moins 15 % du budget annuel d’un pays, d’ici 2015, à l’amélioration du secteur de la santé.
Les principaux domaines d’intérêt de cette initiative menée par l’Union africaine comprenaient le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme. Des plans ont été élaborés et adaptés à chaque pays, et des objectifs ont été fixés. Ces objectifs allaient des efforts au niveau local en vue de mobiliser et d’établir des partenariats avec des groupes vulnérables tels que les personnes vivant avec le VIH/sida à l’identification d’éventuelles pistes de mobilisation de ressources.
En 2011, une revue de la Banque mondiale a procédé au suivi des progrès réalisés par les pays signataires. Ce rapport a révélé que 10 ans après la Déclaration d’Abuja, seule l’Afrique du Sud – sur les 16 États membres de la SADC – avait le potentiel nécessaire pour atteindre l’objectif de 15 %.
Selon les indicateurs de développement mondial de la Banque mondiale, au cours de la période 2011-2015, les dépenses totales de santé de la région SADC en pourcentage du produit intérieur brut (PIB) se situaient autour de 6,4 %. Néanmoins, la proverbiale lumière brillait au bout du tunnel, les recherches empiriques de 2015 suggérant que, tandis que la majorité des pays d’Afrique peinaient encore à atteindre leur objectif de 15 %, les pays de la SADC avaient fait des progrès dans le domaine des investissements en matière de santé publique.
Malheureusement, cette lumière n’a pas brillé suffisamment car, en 2018, des recherches supplémentaires menées dans le cadre de la base de données sur les dépenses mondiales de santé de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont montré que tous les États membres de la SADC avaient du mal à atteindre leur objectif annuel de 15 %. À ce jour, aucun des pays présents à Abuja il y a plus de 20 ans n’a atteint l’objectif de la déclaration.
Dans le document de politique intitulé “SADC and Abuja Declaration: Honoring the Pledge”, l’auteur Jack Bwalya a examiné la performance de la Zambie par rapport à la Déclaration d’Abuja. Selon Bwalya, la dépendance de la Zambie à l’égard de l’aide extérieure s’accompagne de diverses mesures d’austérité qui ont été introduites dans le but d’alléger le fardeau de la dette nationale. Il est donc d’autant plus difficile d’atteindre l’objectif de 15 %. Actuellement, l’allocation annuelle moyenne dans la région est de 5,3 %.
D’un point de vue réaliste, la Déclaration d’Abuja ne s’inscrit pas dans le cadre de la mobilisation des ressources intérieures de la Zambie, étant donné la forte dépendance du pays vis-à-vis de l’aide internationale. Avec un système hybride de financement de la santé qui intègre des financements publics, privés et extérieurs, la Zambie jongle avec un modèle socio-économique souvent paralysé par un fort pourcentage d’aide extérieure. En 2016, par exemple, le financement public national représentait 38 % tandis que le financement extérieur contribuait à hauteur de 43 % aux dépenses totales de santé.
La faiblesse du système macro-fiscal alourdit également le fardeau. En 2017, les dépenses du budget de la santé de l’État affectées aux salaires constituaient à elles seules 70 % du budget total. Dans le secteur de la santé, tout comme dans de nombreux autres secteurs du pays, les dépenses sont essentiellement consacrées aux salaires.
Pour ajouter aux défis du pays, il existe des niveaux élevés de corruption dans l’administration fiscale. Cette corruption réduit non seulement les recettes fiscales mais affecte également le moral des contribuables car elle entame leur confiance dans le gouvernement. Si les citoyens pensent que les impôts sont trop élevés, donc injustes, ou que le système fiscal est corrompu ou compliqué, ils sont susceptibles de trouver une justification morale à l’évasion fiscale.
Le 12 août 2021, une élection présidentielle a eu lieu, à l’issue de laquelle le Front patriotique – le gouvernement le plus corrompu de Zambie à ce jour – a perdu face au United Party for National Development (UPND). Populairement salué comme le gouvernement de la “nouvelle ère”, l’UPND a depuis lors alloué 13,9 milliards de kwacha, soit 8% du budget total de 2022, à la santé publique. Il s’agit d’une indication claire de la détermination de la Zambie à honorer la déclaration d’Abuja. Il existe toutefois un contre-argument selon lequel une allocation budgétaire de 8 % à la santé se traduira par la nécessité d’une aide extérieure accrue, ce qui perpétuera le cercle vicieux qui freine et paralyse la croissance et le développement nationaux. On verra bientôt de quel côté penchera la balance.
Alice Simushi
Sources:
• African Union (2001). Abuja Declaration on HIV/AIDS, Tuberculosis, and other Related Infectious Diseases. Abuja: Nigeria • Bwalya, J, (2021). Policy Brief. SADC and Abuja Declaration: Honoring the Pledge. Southern African Institute of International Affairs. • https://pmrczambia.com/wp-content/uploads/2019/07/Overview-of-Domestic-Resource-Mobilisation-Infographic.pdf • J Dieleman, M Schneider, A Haakenstad, L Singh, N Sadat, M Birger, A Reynolds et al., ‘Development Assistance for Health: Past Trends, Associations, and the Future of International Financial Flows for Health,’ The Lancet 387, no. 10037 (2016): 2536‒2544. • https://apps.who.int/nha/database/country_profile/Index/en • McIntyre D, A Obse, E Barasa & J Ataguba, ‘Challenges in Financing Universal Health Coverage in Sub-Saharan Africa,’ in Oxford Research Encyclopedia of Economics and Finance (London: Oxford University Press, 2018). • Policy Monitoring and Research Center. (2022). 2022 Budget- Education, Health, Social Protection, Water and Sanitation. https://pmrczambia.com/blog-2022-budget-education-health-social-protection-water-and-sanitations • World Health Organization. (2011). The Abuja Declaration: Ten Years On. World Health Organization: Geneva