Depuis son apparition en décembre 2019 en Chine, la COVID-19 tend à monopoliser l’attention de la communauté des acteurs intervenant dans le secteur de la santé à travers le monde. Une situation qui ne manque pas d’influer sur la lutte contre les autres maladies, à l’instar du paludisme, de la tuberculose et du VIH/sida.
Le Fonds mondial a d’ailleurs produit en avril 2021 un rapport intitulé « Impact du COVID-19 sur les services de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme et les systèmes de santé ». Ce rapport qui découle d’une étude réalisée auprès de 502 établissements de santé dans 31 pays dont 24 d’Afrique et 7 d’Asie constate que les performances concernant ces trois maladies ont connu une nette diminution.
Ainsi, selon ce document, les établissements sondés en Afrique ont enregistré une baisse des diagnostics du paludisme de 17 % et une baisse des services de traitement du paludisme de 15 %. Dans le même temps, le nombre de personnes tuberculeuses orientées chez un spécialiste a chuté de 59 % en 2020, en comparaison avec 2019. Tandis que le dépistage du VIH a, en moyenne, chuté de 41 % en 2020.
Le contenu de ce rapport rejoint les constats des acteurs travaillant dans la lutte contre ces pathologies. C’est le cas de David Reddy, directeur général de Medecines for Malaria Venture, une organisation qui travaille pour la réduction du fardeau du paludisme dans les pays où cette maladie est endémique. Ce dernier fait savoir que du fait du COVID-19, « les campagnes de distribution de moustiquaires ont été interrompues, les patients ont cessé de fréquenter les établissements de santé pour la détection et le traitement du paludisme, des ressources précieuses ont été détournées vers la protection du personnel de santé contre le COVID-19 ».
Scénarios
Pour David Reddy, cette situation pourrait à terme avoir un effet négatif sur l’objectif d’élimination du paludisme pour 2030, qui vise une réduction de 95% de l’incidence des cas de paludisme et des décès.
En avril 2020 déjà, une analyse de modélisation réalisée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et ses partenaires avaient examiné différents scénarios de perturbations potentielles de l’accès aux principaux outils de lutte contre le paludisme pendant la pandémie du COVID-19, avec l’augmentation des cas et des décès qui en résulterait.
Dans la pire des hypothèses, où toutes les campagnes de distribution de moustiquaires imprégnées d’insecticide auraient été suspendues, avec une réduction de 75% de l’accès à des médicaments antipaludiques efficaces, le décompte estimé des décès dus au paludisme en Afrique subsaharienne en 2020 pourrait atteindre 769 000. Ce qui serait le double du nombre de décès signalés dans la région en 2018 et représenterait un retour au niveau de mortalité dus au paludisme observés pour la dernière fois en 2000. « Heureusement, il est peu probable que ce soit le cas, compte tenu de l’action rapide des partenariats public-privé en 2020 », rassure cependant David Reddy.
Diagnostic
Chez Stop TB Partnership, une institution dont la mission est de garantir un diagnostic, un traitement et des soins de haute qualité à tous ceux qui souffrent de la tuberculose à travers le monde, on estime que l’impact négatif du COVID-19 sur la lutte contre la tuberculose est très important. « Vous observerez qu’il y a eu en 2020 moins the personnes diagnostiquées qu’en 2019 ; ce qui signifie que nous avons un plus grand nombre de personnes souffrant de tuberculose qui ne sont pas diagnostiquées ni traitées à cause du COVID-19 », indique Lucica Ditiu, la directrice exécutive de cette institution.
Elle poursuit en expliquant que « Tout cela, c’est parce que beaucoup d’hôpitaux et centres de santé habituellement destinés à accueillir les malades de la tuberculose ont été transformés en centres d’accueil de patients souffrant du COVID-19. En plus, un grand nombre de médecins et autres agents de santé spécialisés dans le traitement de la tuberculose ont été affectés à la prise en charge des patients souffrant du COVID-19. Tout cela à cause de la similitude qu’il y a entre les symptômes des deux maladies. »
En effet, dans un bulletin publié en mars 2021, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) fait savoir que des données provisoires compilées dans 84 pays révèlent qu’environ 1,4 million de personnes de moins ont reçu des soins contre la tuberculose (TB) en 2020 par rapport au chiffre enregistré en 2019 ; ce qui représente une réduction de l’ordre de 21% en l’espace d’un an.
Du point de vue de Lucica Ditiu, tout cela a eu pour conséquence de rétrograder la lutte contre la tuberculose de 10 ans ; car, dit-elle, les performances réalisées en 2020 se situent au niveau de celles de 2010.
Interdiction des rassemblements
De son côté, Coalition PLUS, un réseau international d’associations communautaires de lutte contre le VIH/sida et les hépatites virales, souligne l’incidence néfaste de l’actuelle pandémie sur le VIH/Sida. « L’interdiction des rassemblements a empêché la tenue des activités de sensibilisation pour la prévention des IST-VIH ; ce qui a augmenté la vulnérabilité. Le nombre de tests de dépistage du VIH et le nombre de personnes qui ont utilisé la prophylaxie préexposition (PrEP) ont fortement baissé, pendant le confinement et après », témoigne Aliou Sylla, le directeur du bureau Afrique de cette organisation.
Ce dernier rappelle qu’il insiste sur cet aspect parce que le dépistage permet aux personnes de connaître leur statut, de bénéficier d’un traitement en cas de résultat positif et de faire disparaître le risque de transmission du VIH.
A l’observation, le principal objectif actuel des pays en Afrique subsaharienne, et même ailleurs, demeure la lutte contre le COVID-19. Ce qui n’est guère rassurant pour Aliou Sylla. « On ne saurait faire fi de l’épidémie du sida, contre laquelle le monde entier lutte depuis plus de 30 ans. Il est important de traiter ces deux problèmes en même temps, si nous ne voulons pas perdre des années d’efforts et de résultats en matière de lutte contre le VIH ».
Dès lors, ce dernier recommande de renforcer l’implication et la participation des agents de santé communautaires qui, à l’en croire, jouent déjà un rôle « essentiel » dans l’appui aux systèmes de santé sur le continent.