L’impact psychologique de la pandémie est également important. Bien que l’évolution clinique du virus chez les PVVIH ne soit pas encore bien élucidée, le fait que les personnes dont le système immunitaire est compromis semblent présenter un taux plus élevé de maladies graves et de mortalité a suscité l’anxiété et la peur chez les PVVIH. Au début de l’épidémie, cette peur a exercé une pression sur les établissements de santé, de nombreuses PVVIH se précipitant dans les centres de santé dans l’espoir de recevoir des médicaments antirétroviraux (ARV).
Selon Mirte Getachew, responsable du programme VIH du Ministère de la santé, cette crainte s’explique par l’appréhension d’une pénurie d’ARV et par la restriction des déplacements. Les PVVIH venaient également dans l’espoir d’obtenir une grande quantité de médicaments et de s’isoler par la suite afin d’éviter tout risque d’exposition, a déclaré Daniel Betre, Directeur de la communication de HAPCO. M. Mekonnen a déclaré aux responsables du BCA qu’au début de l’épidémie, il existait une pénurie d’ARV due à un manque de stocks de médicaments et à des problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement. Selon lui, la pénurie et le manque de réapprovisionnement immédiat en ARV ont été observés en Amhara, Oromia et SNNPR.[1]
L’Éthiopie compte environ 622 236 personnes vivant avec le VIH. Parmi celles-ci, environ 500 000 personnes prennent des médicaments antirétroviraux (ARV), selon les données du Federal HIV/AIDS Prevention and Control Office (HAPCO). Toutefois, le BCA a appris de diverses sources que le nombre de personnes non-observantes aux médicaments, après la pandémie, a considérablement augmenté. La peur de quitter son domicile pour suivre un traitement médical ou se procurer des médicaments, l’insécurité alimentaire causée par les pertes d’emploi et les frais de déplacement en sont les principales raisons. Selon divers rapports, de nombreux travailleurs journaliers, en particulier ceux qui sont engagés dans le travail manuel et le commerce du sexe, ont perdu leur emploi. Cela a entraîné une insécurité alimentaire qui, à son tour, a entraîné la non-observance thérapeutique.
Le Gouvernement et d’autres parties prenantes ont fourni des aliments et d’autres produits aux personnes à faible revenu et aux groupes vulnérables de la société. Toutefois, M. Mekonnen fait remarquer que cette aide ne concernait pas les personnes vivant avec le VIH. La majorité des PVVIH en Éthiopie sont jeunes et suivent une thérapie antirétrovirale (TARV). Selon les données de l’HAPCO, 67 % des PVVIH en Éthiopie ont entre 15 et 24 ans.[2] Elles ont une excellente force de préhension et ne présentent aucun signe d’immunodépression. Par conséquent, il leur est difficile d’obtenir de l’aide et d’autres soutiens, car elles ne veulent pas divulguer leur statut, même si elles remplissent les conditions requises.
En outre, par crainte de la stigmatisation et de la discrimination, les PVVIH se déplacent à 50 kilomètres en moyenne de leur centre de santé le plus proche pour se procurer leurs médicaments.[3] Les personnes vivant avec le VIH et les professionnels de la santé qui ont répondu au BCA [4] ont déclaré qu’au moment de la pandémie, les restrictions de déplacement et, plus tard, même après la levée des restrictions, le prix double du transport a empêché les PVVIH de se déplacer pour obtenir leurs médicaments.
Bien qu’elles aient reçu une quantité suffisante d’ARV, certaines PVVIH ont cessé de les prendre, ont manqué des rendez-vous planifiés et sont devenues des perdus de vue. Sileshi Simeneh, un ancien enseignant du Mehal Sayent woreda dans le Wollo Sud, vit avec le virus depuis 15 ans. Selon lui, l’absence de suivi a amené les PVVIH à conclure que la non-observance du traitement n’aurait aucun effet néfaste. Certaines, selon lui, ont également commencé à croire qu’elles étaient guéries. En outre, la suspension des allocations alimentaires et autres appuis pour les PVVIH les a dissuadées de se rendre dans les centres de santé pour le suivi et le traitement, a ajouté M. Sileshi.
L’impact de la pandémie est également largement visible dans les efforts en matière de prévention et de suivi. En l’absence de soutien technologique, les efforts de prévention et de traitement du VIH/sida en Éthiopie sont essentiellement communautaires, ce qui nécessite de se rendre dans les maisons des personnes vivant avec le VIH, de dispenser une éducation par les pairs dans des établissements et d’organiser des campagnes de sensibilisation pour un grand nombre de personnes dans un même lieu. Ces activités ont été suspendues après la survenue de la pandémie. Elle a également entraîné l’arrêt de la mise en œuvre des plans nationaux visant à réduire le taux de mortalité lié au VIH et les nouveaux cas de VIH, ainsi que de la relance des campagnes de sensibilisation. Selon les données du Ministère de la santé et de l’HAPCO, le taux moyen de mortalité liée au sida au cours des dix dernières années se situait entre 11 et 12 mille personnes. Il était prévu de réduire cette incidence de 5000 personnes en 2021 et les nouveaux cas de VIH de 95%.
Pour réduire les effets de la pandémie, le Gouvernement a pris diverses mesures, dont la publication de directives pour les services VIH dans le contexte de la pandémie, la garantie de l’achat et de la distribution de médicaments en quantité suffisante avant les restrictions de déplacement, la fourniture d’une assistance matérielle, le counseling par téléphone, la continuité des contrôles et du ravitaillement d’urgence, selon Mirte et Daniel. Le Ministère de la santé a également décidé de fournir 6 mois d’ARV aux clients éligibles au modèle d’espacement des rendez-vous, y compris ceux qui avaient refusé ce modèle auparavant, dans le but de réduire les visites des PVVIH dans les centres de santé.
Cependant, les PVVIH et les agents de santé affirment que le modèle d’espacement a limité les tests de charge virale et le suivi. Sileshi, par exemple, a déclaré au BCA qu’il n’avait pas effectué d’examen de charge virale depuis plus d’un an. Mirte reconnaît que l’examen de la charge virale est devenu un véritable défi et le ministère tente de résoudre le problème en alignant la distribution sur plusieurs mois et l’examen de la charge virale lors des visites cliniques programmées pour les PVVIH.
Sileshi a déclaré au BCA que, bien que les causes ne soient pas clairement établies, plusieurs PVVIH sont décédées dans sa région de Woreda. De nombreuses personnes partagent son inquiétude en affirmant que le taux de mortalité lié au VIH et les nouveaux cas ont augmenté. Néanmoins, Mirte a déclaré au BCA qu’il n’existe aucune donnée soutenant ces affirmations. Selon les données de HAPCO, le taux de mortalité lié au sida a atteint 12 685 en 2020, contre 10 000 en 2019. Dans la zone de Wollo Sud, 306 et 344 décès liés au sida ont été signalés en 2011 et 2012 respectivement, tandis qu’au cours des neuf derniers mois, 117 décès ont été enregistrés, selon Mohammed Yasin, responsable de la planification et du suivi de la lutte contre le VIH dans la zone de Wollo Sud.
Selon Mirte, le principal défi associé à la pandémie a été l’incapacité de tester les groupes vulnérables de la société. Dans l’optique de réduire cet impact, le Ministère a lancé une campagne de dépistage du VIH sur une période d’un mois en décembre. À la suite de cette campagne, de nombreux nouveaux cas ont été signalés, a déclaré Mirte au BCA. Avec un taux de prévalence du virus de 0,93, le nombre de personnes nouvellement infectées en 2020 était de 11 715, selon les données de HAPCO.
Globalement, l’impact de la pandémie sur le traitement et la prévention du VIH/sida, en particulier sur les PVVIH, est important. En plus du détournement de l’attention en direction de la pandémie, les effets psychologiques et économiques ont perturbé l’observance des traitements, les soins et le suivi, mettant en péril le bien-être des PVVIH.
Yeshihareg Abebe Melaku
[1] SNNPR – Southern Nations, Nationalities, and People’s Region
[2] En matière de genre, 61% des PVVIH en Éthiopie sont des femmes.
[3] Le BCA a recueilli des informations auprès de personnes vivant avec le VIH, de responsables de la santé et de Mekonnene, Directeur exécutif du Réseau des réseaux de personnes séropositives en Ethiopie.
[4] Le BCA a interrogé 2 responsables de la santé et 3 PVVIH (d’Oromia, Borena Zone et d’Amhara South Wollo zone).