D’après le Rapport mondial sur la jeunesse de 2020 de l’UNESCO, la tranche d’âge des 15 à 24 ans compte 1,2 milliard de personnes, représentant 16 % de la population mondiale. En 2019, environ 230 millions de jeunes (âgés de 15 à 24 ans) vivaient en Afrique, ce qui représente environ 19 % de la population mondiale des jeunes. En tenant compte des jeunes de moins de 25 ans, on s’attend à ce qu’environ 750 millions de personnes — soit environ 42% de la population totale projetée de 1,8 milliard d’habitants en 2030 — soient des jeunes et ils seront en Afrique.
Alors même que les jeunes en Afrique représentent une part grandissante de la population, les décisions politiques sont fréquemment prises sans leur participation. En effet, dans bien des pays sur le continent, les jeunes ne sont pas représentés à des niveaux décisionnels et cela l’est encore plus au niveau de la mise en œuvre des projets et ceci est lié soit aux traditions, soit au fait que leur supposé manque d’expérience joue en leur défaveur. Le domaine de la santé ne fait pas exception ; s’il est vrai que les jeunes (14 à 25 ans) sont durement éprouvés par le paludisme (67% des décès dus au paludisme concernent des enfants de moins de 5 ans, mais les adolescents et les jeunes adultes ne sont pas épargnés) et le VIH (En Afrique subsaharienne, les jeunes âgés de 15 à 24 ans représentent environ 40% des nouvelles infections par le VIH), force est de constater les décisions se prennent souvent sans eux.
Cette question qui a d’ailleurs été au centre du déjeuner francophone (traditionnellement organisé par la délégation française et L’Initiative lors des conseils d’administration du Fonds mondial) au cours du 51e conseil d’administration du Fonds mondial, avait pour but d’aborder la question de la représentation des jeunes dans la gouvernance du Fonds mondial.
Dans son propos liminaire, Son Excellence Anne-Claire AMPROU, ambassadrice de la santé mondiale a exprimé sa préoccupation concernant la situation des enfants qui semblent « abandonnés » à leur propre sort tant les chiffres sont inquiétants ; Les conséquences à la fois physiologiques, psychologiques et sociales des trois grandes pandémies sur ce groupe de population et son développement sont à ce jour encore négligées. Seulement la moitié des enfants infectés par le VIH bénéficient du traitement antirétroviral dont ils ont besoin, contre plus de 75% des adultes (OMS).
Malgré les avancées notables obtenues dans la lutte contre les trois grandes pandémies au fil des décennies passées, le VIH, la tuberculose et le paludisme continuent d’affecter de manière disproportionnée les enfants, les adolescents et les jeunes, notamment les jeunes femmes et les jeunes filles.
Pour rappel, selon l’UNICEF, environ 2,7 millions d’enfants et d’adolescents vivaient avec le VIH dans le monde, dont près de 88 % en Afrique subsaharienne. Alors que les enfants ne représentent que 4 % de l’ensemble des personnes vivant avec le VIH, 13 % des décès liés au sida les concernent. De plus, en Afrique subsaharienne, 75 % des nouvelles infections survenant chez les adolescents et les jeunes concernent des filles et des jeunes femmes.
Le paludisme reste l’une des maladies les plus préoccupantes en Afrique, représentant une charge significative pour la santé publique de la région. L’Afrique sub-saharienne supporte près de 90% de la charge mondiale du paludisme. Les enfants de moins de 5 ans constituent actuellement le groupe le plus vulnérable au paludisme. Ils représentaient 80 % environ des décès dus au paludisme dans la Région africaine de l’OMS en 2021.Deux nouveaux vaccins approuvés en 2021 et 2023 se sont ajoutés aux méthodes existantes pour prévenir le paludisme chez les enfants, tels que les moustiquaires imprégnées d’insecticide et la chimioprophylaxie saisonnière. Pour faire face à l’épidémie de paludisme, 30 pays en Afrique auraient manifesté leur intérêt pour le vaccin et certains d’entre eux, une dizaine ont déjà débuté leur administration pour la plupart via les programmes élargis de vaccination.
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Chaque année, près d’un million de nouveaux cas de tuberculose pédiatrique sont enregistrés. Selon l’OMS Afro, les enfants de 0 à 14 ans représentent 10% des cas rapportés de TB dans la région Afrique subsaharienne. Par ailleurs, le nombre de cas non diagnostiqués est de 68.2 % près de 70%, chez les zéros à 4 ans. Comme pour enfoncer le clou, le Dr. Jean Louis Abena spécialiste TB au bureau Afrique de l’OMS, « les cas manquants pour les enfants tous codes confondus, c’est 61% des cas sont manquants au diagnostic…donc ils décèdent. » En Afrique, la prévalence de la tuberculose pédiatrique pose un défi majeur pour la santé publique. Ces chiffres alarmants soulignent la nécessité d’une action urgente pour améliorer la détection précoce, le traitement et la prévention de cette maladie chez les enfants.
Des challenges insurmontables ?
Pour ce qui est de vaincre le paludisme, la tuberculose et le VIH, chez les jeunes, la communauté internationale est loin d’atteindre nos objectifs. En effet, pour ce qui est du VIH par exemple, la cascade des trois 95 chez les enfants est de 37-37-30, c’est-à-dire qu’en lieu et place de 95% pour les trois trajectoires, nous avons seulement atteint 37 % d’enfants vivant avec le VIH qui connaissent leur état sérologique, que 37 % de ces enfants suivent un traitement antirétroviral vital et que 30 % des enfants sous traitement ont une charge virale indétectable. Seulement la moitié des enfants infectés par le VIH bénéficient du traitement antirétroviral dont ils ont besoin, contre plus de 75% des adultes (OMS). Ceci démontre si besoin en était que les résultats dans la lutte contre les trois maladies chez les enfants restent très préoccupants.
Une des raisons pour lesquelles nous fonçons dans le mur tient sans doute au fait que les jeunes ne sont pas stratégiquement impliqués dans les réponses aux trois maladies. C’est pour pallier cette insuffisance que l’UNICEF ou le Fonds mondial plus récemment ont mis en place des conseils des jeunes pour une réponse plus adéquate.
Le conseil des jeunes du Fonds mondial
Le Conseil des jeunes, créé récemment par le Fonds mondial, représente les adolescents et les jeunes dans leur diversité. Annoncé lors de la réunion du Conseil d’administration denovembre 2019, ce conseil a pour but d’informer le Fonds mondial sur les besoins et les défis des jeunes liés au VIH, à la tuberculose, au paludisme, ainsi qu’à d’autres aspects de leur santé et bien-être. Les membres du conseil, majoritairement âgés de moins de 25 ans, vivent avec ou sont touchés par ces maladies, représentant la diversité des populations jeunes, y compris les populations clés et vulnérables.
Représentante du conseil des jeunes au 51e Conseil d’administration des jeunes participants au déjeuner francophone, Amanda Dushime a touché du doigt l’une raison pour lesquelles on pècherait dans la lutte contre les trois maladies. De son point de vue, les jeunes sont interpelés pour faire joli dans les rencontres internationales et sont rarement voire jamais impliqués dans les décisions stratégiques. Le président de l’ICN Tunisie, Pr Mohamed Chakroun, semblait abonder dans le même sens quand il attestait qu’en matière de représentation dans les Instances de Coordination Nationale, les jeunes sont sous voire non représentés ce qui pourrait contribuer à être un frein dans leur implication et la réponse aux trois maladies.
L’exemple du Burkina Faso
Depuis mars 2023, le leadership de l’Instance de Coordination Nationale du Burkina Faso s’est renforcé par l’intégration de la jeunesse en son sein. En effet, Monsieur Siebou Coulibaly, secrétaire général du Conseil National de la Jeunesse du BURKINA FASO CNJ-BF, une émanation de la charte africaine de la jeunesse en est un membre. L’organisation qu’il représente au sein de l’ICN favorise la participation des jeunes aux prises de décision et à la vie de la nation ; elle a aussi vocation à représenter les intérêts de la jeunesse au niveau national et international, appuyer les organisations et associations de jeunes et de jeunesses dans leur renforcement institutionnel et organisationnel pour une amélioration de la qualité de leurs actions.
Ce dernier confesse que « pour nous jeunes, les questions de VIH, de TB et de paludisme sont des préoccupations qui touchent les jeunes et les femmes plus que tout le monde, au sein de la jeunesse, il y a des réalités qui ne facilitent pas la lutte contre VIH mais notre implication peut faire la différence dans la lutte ».
Il affirme que « la présence de la jeunesse dans l’ICN nous a permis de mieux comprendre la subvention, de passer l’information chez les jeunes, de faciliter la participation et la prise en compte des aspirations des jeunes aux comités, aux décisions prises et leur adhésion au processus ».
Il révèle n’avoir pris la pleine mesure des enjeux qu’une fois au sein de l’ICN qu’il ne connaissait pas avant. Leur implication étant le fait d’un appel à candidature. Une fois installé et informé des activités et des dynamiques, il a estimé que « la structure ne pouvait travailler sans la présence et l’implication des jeunes et des femmes et les défis sont tellement énormes qu’ils doivent être confiés à qui de droit. » C’est ainsi qu’il a soumis sa candidature à la vice-présidence de l’ICN.
Pour moi, être au CCM est une très belle expérience car j’ai le sentiment d’être au bon endroit pour faire entendre la voix des jeunes et des femmes.
Il est crucial de reconnaître l’importance de donner une place significative aux jeunes dans la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme. Malgré les avancées réalisées, les statistiques alarmantes soulignent la nécessité d’une action concertée pour améliorer la prise en charge et la prévention de ces maladies chez les enfants et les jeunes, en particulier les jeunes femmes et les jeunes filles. Les défis persistent, notamment en ce qui concerne l’implication stratégique des jeunes dans les prises de décision. La création du Conseil des jeunes par le Fonds mondial est un pas dans la bonne direction pour garantir que les voix et les besoins des jeunes sont entendus et pris en compte. Il est impératif de continuer à renforcer cette implication des jeunes au niveau national pour une réponse plus efficace et adaptée à ces maladies, afin de surmonter les obstacles actuels et de progresser vers des solutions durables. Des expériences comme celle de l’Instance de Coordination Nationale du Burkina Faso sont à encourager car elles impliquent les jeunes dans les stratégies et la mise en œuvre ; de telles expériences permettent également de former et de transférer les connaissances et compétences. Dans un contexte africain où les traditions et le respect des aînés pèsent de tout leur poids, pour une meilleure implication des jeunes, il faudrait travailler à surmonter aussi les obstacles tant culturels que sociologiques, en faisant comprendre aux communautés que les jeunes aussi peuvent aussi jouer leur partition dans la lutte contre les trois maladies.
Armelle NYOBE