Le Bureau de l’Inspecteur général (BIG) est un maillon essentiel du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Il est chargé de protéger les actifs, les investissements et la réputation de l’organisation par le biais d’audits et d’enquêtes. Son approche englobe la gestion des risques, la gouvernance et les contrôles internes, ainsi que les enquêtes sur les allégations de fraude, d’abus et de violations des droits humains dans le cadre des programmes du Fonds mondial.
Le BIG travaille en collaboration avec le Secrétariat du Fonds mondial et les responsables de mise en œuvre des subventions dans le but d’améliorer le suivi stratégique et de renforcer les capacités locales dans les pays chargés de la mise en œuvre. En outre, il communique ses constats et recommandations au Conseil d’administration du Fonds mondial, garantissant ainsi la transparence et la redevabilité en ce qui concerne ses activités, et contribuant à terme à l’efficacité de la lutte contre les trois maladies. Ces dernières années, le BIG a publié des audits sur la performance des subventions et des programmes de santé en Afrique sur lesquels porte cet article. Cette analyse approfondie des constats des audits du BIG se penche sur les résumés thématiques des audits de 2022 et 2023 des programmes de santé africains, en effectuant une comparaison régionale approfondie et en explorant les causes profondes des problèmes récurrents. Les données révèlent une interaction complexe de faiblesses systémiques, de facteurs contextuels et de lacunes en matière de capacités qui font obstacle à la fourniture efficace de services de santé essentiels.
Les audits ont systématiquement mis en évidence plusieurs défis interconnectés qui exigent une compréhension nuancée allant au-delà d’une simple catégorisation:
Les faiblesses de la chaîne d’approvisionnement vont bien au-delà de la simple gestion des stocks. Elles impliquent des défaillances systémiques dans la planification des achats, des infrastructures inadéquates pour le stockage et la distribution (en particulier dans les zones reculées) et un manque de personnel qualifié pour la gestion de la logistique. L’utilisation limitée des fonds et les faibles taux d’absorption indiquent des lacunes en matière de gestion financière et de planification, ainsi qu’un risque de corruption. Les données de 2023 mettent en relief les retards importants dans la mise en œuvre des réformes de la chaîne d’approvisionnement, ce qui suggère un manque de volonté politique ou de stratégies de mise en œuvre efficaces.
La qualité constamment médiocre des données a limité la capacité à assurer le suivi des performances des programmes, l’affectation efficace des ressources et l’adaptation des stratégies sur la base de données factuelles en temps réel. Il ne s’agissait pas simplement d’une question de saisie inexacte des données; mais également de lacunes dans les méthodologies de collecte des données, d’un manque de systèmes de données normalisés et d’une formation insuffisante pour les gestionnaires de données. Les conséquences ont été lourdes: entrave à l’évaluation des besoins, frein à l’évaluation des programmes et affaiblissement des mécanismes de redevabilité.
Les rapports mettent en évidence non seulement des cas de fraude et de mauvaise gestion, mais également les faiblesses sous-jacentes des structures de gouvernance qui ont permis la floraison de telles pratiques. Il s’agit notamment d’un suivi stratégique insuffisant, de contrôles internes faibles, d’un manque de transparence et de mécanismes de redevabilité, et d’une incapacité à faire appliquer les réglementations existantes. Les données de 2023 suggèrent un manque généralisé de sensibilisation et de compréhension des implications des politiques de sauvegarde existantes, accentuant davantage le problème. Les cas d’exploitation et de harcèlement sexuels soulignent l’urgence d’une formation à la conduite éthique et d’un renforcement des mécanismes de redevabilité dans la gestion des programmes.
Les défis liés à la gestion des programmes n’étaient pas uniformes dans les différentes régions ou les différents programmes. Dans certains cas, le manque de personnel qualifié, l’inadéquation des stratégies d’engagement communautaire et l’insuffisance de la coordination entre les parties prenantes ont été cités comme des obstacles majeurs. D’autres cas ont révélé des échecs dans l’adaptation des programmes aux réalités contextuelles spécifiques, aboutissant à une mise en œuvre médiocre et à un impact réduit. Les progrès limités dans la lutte contre le VIH/SIDA et le paludisme ont mis en évidence la nécessité de renforcer la conception des programmes, les stratégies de mise en œuvre, ainsi que le suivi et l’évaluation continus.
L’analyse des variations régionales nécessite la prise en compte de facteurs contextuels au-delà de la seule position géographique:
Afrique de l’Ouest et du Centre (AOC): Cette région a toujours été confrontée à de graves contraintes en matière d’infrastructures, impactant l’efficience et l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement. Cette situation a été exacerbée par la faiblesse des capacités institutionnelles et l’instabilité politique persistante dans plusieurs pays. Les efforts consentis en matière de renforcement des capacités doivent être soigneusement adaptés pour répondre à ces défis contextuels particuliers.
Afrique de l’Est et Australe (AEA): Tout en étant confrontée à des problèmes similaires en matière de chaîne d’approvisionnement, cette région a fait ressortir des préoccupations supplémentaires liées à la gestion des ressources humaines, en particulier le manque de personnel qualifié dans des domaines critiques. Les cas d’exploitation et de harcèlement sexuels ont révélé la nécessité de mettre davantage l’accent sur le comportement éthique et d’instaurer une culture de la redevabilité au sein des structures de gestion des programmes.
L’analyse comparative révèle une tendance préoccupante: si certains efforts ont été déployés pour relever des défis spécifiques, le tableau d’ensemble montre l’absence d’amélioration significative. De nombreux problèmes identifiés en 2022 ont persisté en 2023, soulignant la nécessité d’interventions plus efficaces et plus durables. La persistance des problèmes souligne la nécessité d’adopter des approches stratégiques à long terme plutôt que des solutions réactives à court terme.
Pour relever ces défis aux multiples facettes, il est nécessaire d’adopter une approche holistique et intégrée qui ne se limite pas à de simples interventions:
Renforcement de la chaine d’approvisionnement: Il est primordial de mettre en œuvre des réformes globales, notamment l’amélioration des infrastructures, des processus d’approvisionnement solides, une gestion efficace des stocks et des réseaux de distribution appropriés.
Investissement dans les systèmes de données et renforcement des capacités: Il est essentiel de se doter de systèmes robustes de collecte et de gestion des données, de former les gestionnaires de données et de promouvoir la prise de décision fondée sur les données.
Réformes relatives à la bonne gouvernance: La mise en œuvre de mesures de lutte contre la corruption, le renforcement des contrôles internes, l’amélioration de la transparence et de la redevabilité et la mise en place de mécanismes de contrôle indépendants sont essentiels.
Renforcement des capacités et développement des ressources humaines: Investir dans des programmes de formation pour les travailleurs de la santé, les gestionnaires de programmes et les responsables financiers permettra d’améliorer les capacités et l’expertise.
Engagement communautaire et adaptation des programmes: Pour une mise en œuvre réussie, il est essentiel de veiller à ce que les programmes de santé soient culturellement appropriés, dirigés par la communauté et adaptés aux contextes locaux spécifiques.
Collaboration régionale et partage des connaissances: La mise en place de plateformes d’échanges de bonnes pratiques, d’enseignements et d’expertise technique entre les pays confrontés à des défis similaires est cruciale.
La présente analyse approfondie met en évidence la complexité de la mise en œuvre de programmes de santé efficaces en Afrique. Un engagement soutenu pour remédier aux faiblesses systémiques, le renforcement des capacités et la promotion de la redevabilité sont essentiels pour améliorer les résultats sanitaires des populations africaines de manière durable. Cette démarche nécessite non seulement des investissements financiers, mais également une volonté politique, un leadership fort et des partenariats durables entre les parties prenantes.
Dr. Paul Nesara & Armelle Nyobe