Tous les trois ans, le Fonds mondial de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme organise une Conférence mondiale de reconstitution triennale de ses ressources financières. Les promesses de dons ainsi recueillies servent prioritairement à financer ses différents programmes. Nonobstant les progrès réalisés depuis 20 ans, le Fonds fait actuellement face à une urgence sanitaire qui menace de dévier irrémédiablement la trajectoire vers l’élimination de ces pandémies. Dans ce contexte, « continuer à sauver des vies » est le défi attaché à la 7e Reconstitution des ressources du Fonds prévue en 2022 aux États-Unis. L’enjeu est particulièrement vital pour l’Afrique qui se trouve être le continent le plus affecté par les trois pandémies. C’est l’objet de la présente chronique que de le démontrer.
En effet, la pandémie de COVID-19 a occasionné d’énormes perturbations et de nets reculs dans la mise en œuvre des programmes clés du Fonds mondial. Les données préliminaires de l’enquête de suivi des indicateurs du Fonds permettent d’établir un lien de causalité entre la COVID-19 et la baisse des résultats des programmes de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme[1]. En 2020, le nombre de personnes traitées pour la tuberculose pharmacorésistante dans les pays où le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a investi a chuté de 19 % et le nombre de personnes sous traitement pour la tuberculose ultrarésistante a diminué de 37 %[2]. Il s’agit d’une différence de près d’un million de personnes qui n’ont pas été traitées en 2020 par rapport à 2019. Le nombre de tests pour les cas suspects de paludisme a également diminué par rapport à 2019. Relativement à l’année 2021, tout indique qu’on s’achemine vers un autre recul des indicateurs pour les trois maladies.
La cartographie générale présentée ci-dessus à grands traits gagne davantage en gravité lorsqu’on prête une attention particulière au continent africain. L’émergence et la persistance de pandémie de COVID-19 a conduit à tour à tour à l’exacerbation des inégalités existantes, la réaffectation des ressources essentielles, l’entrave aux activités de prévention et de traitement et à la surexposition des populations vulnérables aux risques sanitaires. Selon une étude récente publiée dans le Lancet Global Health, les pays à revenu faible ou intermédiaire pourraient voir les décès dus au VIH, à la tuberculose et au paludisme augmenter jusqu’à 36% au cours des cinq prochaines années en raison des perturbations des services de santé induites par la COVID-19[3].
Mais ce qui s’apparente à de déplaisantes mises en garde tirent en réalité leur source de la nécessité d’agir rapidement. Si l’espoir de débarrasser l’humanité de ces trois pandémies à l’horizon 2030 a été quelque peu refroidi, endolori voire fracassé par les effets désastreux de la Covid-19, il importe cependant de garder à l’esprit que la bataille n’est pas perdue. Et quoiqu’il en soit, le renoncement ne saurait être une option. Le monde ne peut attendre que l’orage passe. Il doit continuellement escalader ses désastres, c’est-à-dire apprendre à danser sous la pluie. En ce sens, la gravité du constat est avant tout porteuse d’une invitation à l’action. Si rien n’est fait dans les prochains mois, les immenses progrès réalisés avant la pandémie de COVID-19 pourraient partir en fumée et ouvrir la voie à une hécatombe mondiale qu’aucune conscience morale ne souhaiterait voir advenir.
C’est fort de ce contexte et de bien d’autres raisons que l’étroitesse de cette chronique ne saurait contenir que le Conseil d’administration (CS) du Fonds mondial a adopté au cours de sa 46e session tenue en novembre 2021 une nouvelle stratégie innovante et ambitieuse pour la période 2023-2028. Le changement de paradigme n’est pas mince. Il s’agira à l’avenir de développer simultanément des systèmes de santé intégrés et centrés sur la personne afin d’obtenir plus d’impact, de résilience et de pérennité ; d’accroitre l’engagement et le leadership des communautés et de maximiser l’équité en matière de santé, égalité de genre et droits humains. Plus largement, cette stratégie vise également à prévenir plus efficacement de nouvelles pandémies ou urgences sanitaires.
Au cours de cette session également, le CS a procédé à la modification de la répartition des allocations de ses programmes clés. L’objectif est de fournir plus de financement aux programmes de lutte contre la tuberculose, tout en protégeant les programmes de lutte contre le VIH et le paludisme. Et pour cause! Depuis le lancement du modèle d’allocation du Fonds mondial en 2013, la répartition est restée fixée à 50 % pour le VIH, 18 % pour la tuberculose et 32 % pour le paludisme. Or, près d’une décennie plus tard, les enjeux ont changé. La part des décès liés à la tuberculose a augmenté. « Environ 10 millions de personnes sont touchées par la tuberculose chaque année, entraînant environ 1,5 million de décès. Ces chiffres contrastent avec les 38 millions de personnes qui vivent avec le VIH et parmi lesquelles environ 680 000 meurent chaque année ; et les 220 millions de cas de paludisme par an avec plus de 400 000 décès ». À cela s’ajoute, disions-nous plus haut, les effets délétères de pandémie de COVID-19 sur la lutte contre ces trois maladies.
Fort de ce qui précède donc, le CS a décidé que : « 1. Tous les fonds disponibles pour l’allocation des pays jusqu’à et y compris US $12 milliards seront répartis comme suit : 50 % pour le VIH/SIDA, 18 % pour la tuberculose et 32 % pour le paludisme. 2. Tous les fonds supplémentaires disponibles pour l’allocation des pays supérieurs à 12 milliards de dollars seront répartis comme suit : 45% de ces fonds seront alloués au VIH/SIDA ; 25 % de ces fonds seront affectés à la tuberculose ; et 30% de ces fonds seront alloués au paludisme ».
Adopter une stratégie innovante et procéder à une répartition efficiente des allocations c’est faire la moitié du chemin. L’autre moitié consiste à rassembler les ressources financières. D’où l’intérêt de la 7e Conférence de reconstitution des ressources.
En effet, le succès de cette Reconstitution est déterminant pour la mise en œuvre de la nouvelle la stratégie du Fonds et répartition des ressources financières. Les actions du Fonds en sont totalement tributaires. Toutefois, bien plus qu’une simple reconstitution, le contexte actuel commande d’élargir l’assiette des ressources. Et pour bien comprendre ce qui est en jeu ici, il suffit de se représenter une tarte ou une pizza de 26 cm. Si le but est d’offrir les portions plus grandes et sans doute plus conséquentes à ceux et celles qui la mangeront, le fait de changer la répartition des portions ne changera rien en bout de ligne. La solution est de commander une pizza plus grande (40 cm). Mutatis Mutandis, la levée de fonds supplémentaires est indispensable pour répondre aux nouveaux enjeux défis liées aux VIH, la tuberculose, le paludisme et à la COVID-19. C’est l’aiguillon d’une utopie réaliste.
Pour l’Afrique, continent le plus touché par ces maladies et théâtre de conflits politiques ou armés, insistons pour le dire, la 7e Reconstitution est cruciale. Car, malgré l’ébranlement commun, l’expérience simultanée de la vulnérabilité et la rencontre collective du tragique, il n’y pas d’égalisation des conditions de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme. Tous les continents ne sont pas égaux devant ces pandémies et encore moins devant la crise sanitaire que traverse la planète depuis près de deux ans. S’il est vrai que ces maladies peuvent potentiellement affecter tout le monde, les moyens pour y faire face sont toujours fonction des ressources disponibles. Celles de l’Afrique à ce jour sont insuffisantes. Hélas.
De fait, si on peinait à mobiliser davantage de ressources financières, si les décideurs prenaient le risque de s’enfermer dans un déni, une sorte de voile d’irréalité, ce sont assurément des vies, de milliers de forces vives indispensables au développement du continent africain qui seront harnachées, harassées, handicapées, lessivées et fauchées au bout d’une longue agonie. Il ne s’agit aucunement ici de vendre un discours fallacieux de lobbystes stipendiées ou de brasser une conclusion exorbitante tirée d’hypothèses excessivement alarmantes. Les pages de nombreux rapports et études fourmillent de projections funèbres dont on partage l’émotion à leur simple lecture.
Au demeurant, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la mobilisation des fonds pour la lutte contre le VIH, tuberculose et paludisme n’est pas une dépense, mais un investissement. En effet, il n’est point besoin d’être l’oracle de Delphes pour savoir que le potentiel culturel, sportif, religieux, économique, créatif de l’humanité s’appauvrit toujours lorsque des milliers de personnes sont arrachées prématurément à la vie. Par ailleurs, la mobilisation des fonds met au défi notre capacité à faire front ensemble. Elle nous convie à redécouvrir le lustre de la solidarité humaine, c’est-à-dire la nécessité de tisser du lien afin de créer des systèmes résistants et pérennes pour la santé. Autant dire qu’il y a un récit du monde à réinventer ou à vivifier autour d’une politique mondiale de la solidarité. Le succès de la 7e Reconstitution des ressources du Fonds mondial serait déjà un grand part en ce sens. Réenchantons la part lumineuse de notre humanité commune.
Christian Djoko
[1] https://www.theglobalfund.org/fr/covid-19/news/2020-06-17-global-fund-survey-majority-of-hiv-tb-and-malaria-programs-face-disruptions-as-a-result-of-covid-19/ (Consulté le 15 novembre 2021).
[2] Le Fonds mondial, Rapport sur les résultats 2021, p. 5.
URL :https://www.theglobalfund.org/media/11305/corporate_2021resultsreport_report_fr.pdf (Consulté le 22 septembre 2021).
[3] Alexandra B. Hogan and others, “Potential impact of the COVID-19 pandemic on HIV, tuberculosis, and malaria in low-income and middle-income countries: a modelling study” in The Lancet Global Health, 13 July, 2020, URL: https://www.thelancet.com/journals/langlo/article/PIIS2214-109X(20)30288-6/fulltext (Consulté le 20 novembre 2021).