Résumé: Le Bureau de l’Inspecteur général du Fonds mondial a constaté que le Burkina Faso avait été déclaré “contexte d’intervention difficile” avec deux ans de retard, en raison du non-respect de la méthodologie de la note de politique opérationnelle émise par le Secrétariat du Fonds mondial. Dans la mesure où cette situation a eu pour conséquence la non-réalisation de l’analyse nécessaire, le pays n’a pas pu bénéficier en temps utile des mesures de flexibilités appropriées.
Contexte
Le Burkina Faso est un pays à faible revenu d’Afrique de l’Ouest dont la charge de morbidité liée au paludisme est élevée, avec 12 231 886 nouveaux cas en 2021 et 4 355 décès liés à cette maladie. Le Fonds mondial a commencé à investir au Burkina Faso en 2002. En 2022, le pays a fait l’objet de deux coups d’État qui ont modifié sa direction politique. Ces coups d’État étaient liés à de violents conflits entre les forces gouvernementales et les groupes armés non étatiques depuis 2015. Par la suite, 41 % des établissements de santé du Burkina Faso dans huit des 13 régions du pays ont été confrontés à des problèmes de sécurité: ils ont été fermés, pillés ou n’ont pu fonctionner que de manière minimale. En mars 2022, le Burkina Faso a été déclaré “contexte opérationnel difficile” (CID). La classification dans la catégorie des CID- sur la base de l’indice de risque externe (IRE) – est nécessaire pour permettre à un pays de bénéficier de la flexibilité, du partenariat et de l’innovation dans le cadre de la politique relative aux CID en vue d’assurer la fourniture de services (Encadré 1).
Encadré 1: Politique relative au contexte opérationnel difficile*.
Les CID sont des pays ou des régions caractérisés par une faible gouvernance, un accès limité aux services de santé et des crises d’origine humaine ou naturelle. Avril 2016: Le conseil d’administration du FM a approuvé la Politique relative aux contextes d’intervention difficiles (CID) afin de guider les opérations dans les pays concernés. Cette politique s’appuie sur trois principes: la flexibilité, les partenariats et l’innovation afin de s’adapter à ces contextes et d’y travailler de manière efficace: Flexibilités pour permettre une plus grande réactivité et un meilleur respect des délais de mise en œuvre des investissements du Fonds mondial. Partenariats en vue de renforcer la gouvernance dans les pays, améliorer l’assistance technique et la prestation de services. Innovations pour maximiser les résultats tout au long du cycle de subventions. Janvier 2017: le Secrétariat du FM a publié une note de politique opérationnelle (NPO) pour fournir “des orientations opérationnelles sur la politique relative aux contextes d’intervention difficiles, y compris des flexibilités permettant aux équipes pays de gérer les portefeuilles de contextes d’intervention difficiles de manière dynamique et opportune, dans le cadre des principes définis dans la politique approuvée relative aux contextes d’intervention difficiles”. Décembre 2022 – Le Groupe technique de référence en évaluation (TERG) a conclu qu'”il était possible d’améliorer de manière considérable la mise en œuvre de la politique afin de renforcer davantage les résultats des programmes dans les pays du portefeuille des CID”. *[Le BCA a publié un coin des politiques concernant les CID ] |
Le second coup d’État de 2022 et l’insécurité croissante au Burkina Faso ont contraint le Bureau de l’Inspecteur général (BIG) du Fonds mondial à modifier son plan de déplacement pour l’audit des subventions du FM. Il a ainsi procédé à une évaluation documentaire du processus de classification du Burkina Faso comme CID en mars 2022, et de son impact sur la gestion de ce portefeuille.
Le rapport du BIG explique que dix indices sont utilisés pour déterminer le niveau de risque conformément à l’indice de risque externe ou “L’effet de l’incertitude sur la réalisation des objectifs d’une organisation ”. Le Secrétariat du FM n’en a utilisé que neuf, lesquels ne comprenaient pas “un indicateur qui mesure la probabilité de déstabilisation ou de renversement d’un gouvernement”, à savoir “la stabilité politique et l’absence de violence”. Étant donné que l’indice de risque externe du Burkina Faso a été ajusté de “élevé” à “très élevé” entre 2020 et 2021 en raison du niveau d’insécurité, il aurait dû être classé comme CID en 2020 et non deux ans plus tard.
Selon le rapport du BIG, le Secrétariat du FM n’a pas respecté la NPO concernant la déclaration du Burkina Faso comme CID et “la classification CID a été communiquée au pays en novembre 2022, en même temps que les flexibilités accordées”. Le BIG a déclaré qu’aucune raison n’a été donnée pour expliquer ce retard car “il n’a été fourni que peu ou pas de données sur les éléments qui ont influencé la prise de décision et/ou les compromis dans les décisions prises pour mettre en œuvre la classification CID, ce qui signifie que le processus dépend fortement de l’appréciation non documentée des dirigeants “.
Le retard dans la classification du pays dans la catégorie des CID a été aggravé par le retard dans l’élaboration d’un plan d’urgence intégré, qui est “une proposition de réponse d’urgence complète en un seul plan opérationnel pour aider les organisations de mise en œuvre à faire face à des contextes difficiles dans les pays”. Le plan d’urgence intégré relève en partie du Ministère de la santé. En outre, l’examen du portefeuille pays, qui combine des considérations programmatiques, financières et liées au risque afin de renforcer les progrès vers l’obtention d’un impact a été réalisé sans l’analyse de portefeuille requise par les directives sur l’analyse de portefeuille et la stratégie opérationnelle (PAOS) dans les portefeuilles CID. Le BIG a expliqué en termes prudents que “la préparation et l’exécution en temps utile d’un plan d’urgence, comme le prévoit la NPO des CID, auraient pu accroître les opportunités de bénéficier en temps utile des flexibilités liées aux des CID, des approches novatrices et de nouveaux partenariats”.
En décembre 2022, le Burkina Faso a été placé sous la politique de sauvegarde additionnelle (PSA). Cette politique, approuvée en 2004, est invoquée lorsqu’il est estimé que les subventions du Fonds mondial “pourraient être mises en péril en l’absence de mesures supplémentaires”. En particulier, la PSA permet au Secrétariat du Fonds mondial de choisir des responsables de mise en œuvre et d’autres contractants sans l’approbation de l’Instance de coordination nationale (ICN) ou d’autres responsables de mise en œuvre. La majorité des pays classés dans la catégorie PSA présentent des cas avérés de fraude, de corruption, etc. (Voir ici le résumé des principales différences entre CID et PSA ).
Les observateurs sont en droit de s’interroger sur la chronologie des événements: Le Burkina Faso était éligible pour devenir un CID, ce qui lui aurait permis de bénéficier de flexibilités supplémentaires à partir de 2020, mais cette décision a été retardée de deux ans pour des raisons inexpliquées. Le Secrétariat du FM a invoqué la PSA presque en même temps qu’il notifiait les flexibilités au pays en décembre 2022, ce qui conférait à ses dirigeants le droit de prendre des décisions pour le pays sans tenir compte des autorités nationales. Pourtant, le Burkina Faso n’a pas connu de problèmes de mauvaise gestion financière. En revanche, un autre pays faisant l’objet de l’actualité a été rapidement et de manière appropriée classé CID dès le début de la guerre, au début de l’année 2022, et ce pays n’a pas été soumis à la PSA.
La décision des dirigeants du Secrétariat du Fonds mondial concernant le portefeuille du Burkina Faso soulève donc de nombreuses interrogations.
Armelle Nyobe