Au moment où le Fonds mondial célèbre son vingtième anniversaire, j’ai souhaité partager mon expérience et mon parcours de 20 ans avec le VIH.
En 2001, enceinte et pleine d’espoir et de confiance en l’avenir, je découvre lors d’une consultation prénatale mon statut VIH positif. Ma vie prend alors une nouvelle tournure pleine d’interrogations, d’incertitudes et d’inquiétudes.
Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, en particulier grâce à la création du Fonds mondial de Lutte contre le Sida, la TB et le paludisme, qui a apporté un immense espoir pour les personnes vivant avec le VIH.
A l’époque, la prise en charge financière du VIH était hors de portée de la plupart des personnes infectées. Bien qu’étant cadre de l’Etat camerounais (dans une des catégories les plus élevées), mes moyens ne me permettaient pas de faire face aux dépenses liées à cette infection: payer les consultations, acheter les médicaments, effectuer les multiples tests de laboratoire. Beaucoup de personnes, dans des circonstances similaires, ne savaient à quel saint se vouer. Que dire alors de la majorité des PVVIH ayant soit des emplois faiblement rémunérés ou irréguliers ou n’en disposant pas du tout?
Vivre avec le VIH au début des années 2000 n’était pas aisé. De nombreuses personnes considéraient l’infection à VIH comme une sentence de mort; certains pensaient que le VIH et le SIDA étaient une maladie de personnes ayant des mœurs légères donc méritant leur sort. D’autres encore pensaient que le VIH est très contagieux comme la tuberculose par exemple. Ces raisons rendaient la maladie isolante; et par conséquent, la gestion de l’aspect psychosocial par le patient tout seul était une perspective effrayante et décourageante.
Il est à noter également qu’à cette époque, le personnel de santé disposait d’un niveau extrêmement limité de connaissances sur le VIH. Ce manque de connaissance l’amenait à désorienter les personnes dépistées positives au VIH en les alarmant exagérément sur la gravité de leur condition, d’où la détresse de bon nombre de patients qui, faute d’informations appropriées, se repliaient sur eux-mêmes et nombreux sont ceux qui ont ainsi perdu la vie.
L’Etat du Cameroun n’est pas resté inactif face à ce fléau dont les dégâts étaient déjà visibles au sein de ses populations et s’est résolument engagé dans la riposte contre cette infection par le biais d’un plan stratégique national avec les moyens très limités dont il disposait, avec évidemment, des résultats louables mais insuffisants.
Le Fonds mondial a donc constitué une aubaine exceptionnelle pour redonner espoir et changer la donne en ce qui concerne les interventions de prévention de l’infection et de prise en charge des PVVIH obligées par le passé de payer de leurs poches leur suivi biologique et virologique ainsi que leurs ARV et qui, pour des raisons évidentes, ne le pouvaient pas en majorité.
Selon les Directives nationales de prévention et de prise en charge du VIH au Cameroun de 2014, « le Cameroun fait partie des 22 pays prioritaires de la PTME dont 21 se trouvent en Afrique subsaharienne. Sans intervention, près de 35% des enfants nés de mère VIH+ vont contracter le VIH pendant la grossesse, l’accouchement ou l’allaitement.»
Dans mon cas spécifiquement, j’ai été dépistée dans le cadre de la prévention de la transmission mère-enfant (PTME) alors que j’étais enceinte, comme je le disais plus haut. A cette époque, la PTME était peu maîtrisée au Cameroun, ce qui constituait un double fardeau pour moi car je me souciais en même temps de mon avenir et de celui de l’enfant à naître.
Lors de mes 2 expériences en PTME en 2001 et en 2006 qui ont heureusement abouti à la naissance de 2 enfants séronégatifs, la prise en charge était encore assez embryonnaire. Pour la première PTME en 2001, j’ai eu un comprimé de Névirapine au moment de l’accouchement et le nouveau-né a reçu de la Névirapine prophylactique dès le jour de sa naissance et pendant environ une semaine. En 2006, la légère amélioration consistait à mettre la femme enceinte séropositive sous traitement ARV à partir de la 28ème semaine de grossesse jusqu’à l’accouchement, à lui administrer un comprimé de Névirapine au moment de l’accouchement, et à administrer le traitement prophylactique susmentionné au nouveau-né.
Grâce aux subventions, la PTME n’a cessé de s’améliorer au Cameroun en passant par l’option B+ qui préconisait l’initiation systématique du traitement ARV chez toute femme enceinte séropositive quel que soit son stade clinique ou la valeur de ses CD4. Ce traitement devant être poursuivi pendant toute la grossesse, l’accouchement, la période de l’allaitement et au-delà à vie, pour aboutir de nos jours à l’option «Tester et Traiter» dont l’objectif est de mettre sous traitement toutes les personnes dépistées positives au VIH en vue de la réalisation de l’un des objectifs 90-90-90 de l’ONUSIDA, à savoir qu’ «A l’horizon 2020, 90% de toutes les personnes infectées par le VIH dépistées reçoivent un traitement anti rétroviral durable ».
Au fil du temps, le critère principal d’éligibilité des PVVIH au traitement ARV est passé d’un taux de CD4 ≤ 200 au départ, à un taux de CD4≤350, puis ≤500 pour aboutir de nos jours à l’approche «Tester et traiter». Ce qui, comme on pouvait s’y attendre a augmenté de manière exponentielle la file active des patients sous ARV, qui est passée de quelques centaines au début de la prise en charge dans les années 2000 à 312 217 personnes au 31 décembre 2019 selon le rapport d’avancement sur la lutte contre le Sida au Cameroun en 2020. Chiffres en constante évolution et nécessitant de ce fait des ressources plus conséquentes.
Selon la dernière étude d’envergure nationale (CAMPHIA 2017), la prévalence du VIH dans la population générale est en baisse depuis 2004, allant de 5,5% en 2004 à 4,3% en 2011 puis à 3,4% en 2017. On note toutefois une tendance à la féminisation de l’épidémie selon la même étude (5% des femmes PVVIH contre 2,3% d’hommes chez les adultes). De plus, les adolescentes et les jeunes femmes (15-19 ans et 20-24 ans sont en moyenne 5 fois plus infectées que les garçons. D’où l’importance de mettre davantage l’accent sur la prévention en direction des adolescentes et jeunes femmes.
Le rapport d’audit 2020 des subventions de Fonds mondial au Cameroun mentionne quant à lui, que depuis 2003, le Fonds mondial a décaissé environ 608 millions d’euros globalement au profit du Cameroun, dont la moitié a certainement été consacrée à la lutte contre le sida qui permet aujourd’hui la gratuité des soins liée au VIH.
Les résultats dans ce cadre, tels que publiés par ce même rapport sont remarquables, notamment:
«500 000 personnes vivant avec le VIH, dont 78 % connaissent leur statut sérologique. 74 % des personnes vivant avec le VIH identifiées sous traitement en 2020. Les infections annuelles ont diminué de 57 % depuis 2010. Les décès liés au SIDA ont diminué de 47 % entre 2010 et 2020 ».
On peut également noter une nette amélioration dans les domaines de la prise en charge psychosociale des PVVIH à travers le recrutement des agents de relais communautaire, puis des accompagnateurs psychosociaux chargés de mener des activités de recherche active de cas et de rétention des patients sous traitement telles que le dépistage aux portes d’entrée des CTA/UPEC et en communauté, le suivi régulier des cohortes de la file active des CTA/UPEC, la recherche des perdus de vue et les visites à domicile pour n’en citer que quelques-unes. D’autres avancées notables incluent:
Selon le rapport d’audit du BIG cité plus haut, au Cameroun, « La pandémie de COVID-19 a eu un faible impact sur la mise en œuvre des subventions, à l’exception des interventions à base communautaire de lutte contre le VIH, grâce à l’appui financier du Fonds mondial aux Récipiendaires Principaux. Le Fonds mondial a accordé au Cameroun un financement (C19RM) de 15 millions d’euros pour soutenir la riposte nationale au COVID-19 pendant une période initiale de 11 mois s’achevant le 30 juin 2021. »
Ces données démontrent à suffisance l’importance capitale des subventions du Fonds mondial pour la riposte aux trois maladies au Cameroun, ainsi que l’atténuation de l’impact de la pandémie de Covid 19 sur celles-ci.
On ne peut que saluer les progrès remarquables dans la prévention du VIH et la prise en charge globale des PVVIH concrétisés par une baisse de prévalence du VIH au Cameroun de 5,6% à 2,7% entre 2004 et 2020, une baisse de la mortalité due au VIH de 47%, une décentralisation des structures de prise en charge, une réduction des coûts de traitement et des examens biologiques pour ne citer que quelques-uns. Toutefois, des efforts restent à fournir principalement dans la prise en charge des enfants vivant avec le VIH, le renforcement des systèmes de santé et des systèmes communautaires en vue de préserver les acquis et d’inverser davantage la tendance de l’épidémie et parvenir à son élimination à l’horizon 2030.
Notre espoir en tant que patients, est de voir la recherche avancer pour aboutir un jour, au « développement d’un vaccin et d’un traitement de guérison».
C’est le lieu ici de lancer un vibrant appel à l’action de nos chefs d’Etat, de Gouvernement et philanthropes d’Afrique en faveur du renforcement de la mobilisation de ressources intérieures sans laquelle l’atteinte de l’objectif de mettre fin au Sida, à la TB et au paludisme à l’horizon 2030 restera une utopie.
Nous saisissons également cette opportunité pour renouveler notre gratitude à l’endroit du Fonds mondial et de tous les autres bailleurs pour leurs actions multiformes en faveur des populations de l’Afrique.
Rose Djihemine