Alors que la 7ème Conférence de reconstitution des ressources du Fonds mondial s’est achevée il y a quelques semaines, l’Italie et la Grande-Bretagne dont les promesses de dons se faisaient attendre ont, à l’occasion du Conseil d’administration du Fonds Mondial du mois de novembre, font monter la jauge des promesses à 15 milliards et 669 millions de dollars US dont 12 milliards 503 millions que les pays de mises en œuvre du partenariat devront se partager. Ceci étant, les pays de la circonscription africaine (Afrique de l’Ouest et du Centre ; Afrique de l’Est et Australe) doivent se préparer à faire valoir leur fonds de contrepartie via la politique du cofinancement.
La politique du Fonds mondial en matière de co-financement est adaptée au niveau de revenus des pays. Les pays à faible revenus peuvent investir leur co-financement uniquement dans le renforcement de leur système de santé. Les pays à revenus intermédiaires doivent investir en partie dans les programmes des trois maladies par exemple.
Dans un article publié récemment dans le cadre du coin des politiques du Fonds mondial, le Dr. Djesika Amendah affirmait que : « La majorité des pays africains respectent les exigences. Quelques cas de pays tels que le Nigéria n’ayant pas respecté les exigences ont perdu 15 % de leur allocation. Certains pays, même ceux à faible revenu, s’engagent à acheter des produits de santé comme des médicaments antirétroviraux (ARV) avec les subventions VIH ou d’autres intrants de santé avec leurs subventions TB ou paludisme. Certains, comme le Malawi, ont même contracté des prêts pour répondre à leurs exigences de cofinancement. Cette pratique est contraire à la lettre et à l’esprit de la politique. Certains pays ne parviennent pas à décaisser les fonds pour ces médicaments en temps opportun (voire pas du tout), ce qui entraîne des ruptures de stock… Pour le cycle actuel, le Niger, un pays à faible revenu et à contexte d’intervention difficile, s’est engagé à dépenser 6,3 millions USD pour acheter des ARV, ainsi que des médicaments contre la tuberculose et le paludisme. Il s’agit d’un pays où moins de la moitié de la population a accès à un établissement de santé dans un rayon de 0 à 5 km. Ce type d’engagement de PFR n’est pas un cas isolé. »
Mis en place par l’OMS qui en assure la promotion, les « Comptes Nationaux de la Santé constituent une information économique et cohérente sur le système de santé. Joints aux autres indicateurs de santé liés à l’offre de soins, à la morbidité, à la mortalité, etc. ». Ils permettent aux décideurs d’avoir une vue d’ensemble des problématiques de santé. C’est comme d’avoir une unité qui donne une perspective globale sur le secteur de la santé. Les comptes ont les informations sur les sources financement, les maladies, les bénéficiaires (par sexe, âge-groupe), les fonctions (prévention, soins curatifs, etc.), les facteurs de production de la santé (médicaments, etc.). De ce fait, les comptes de la santé permettent de planifier stratégiquement et de prendre des décisions basées sur des évidences. Par ailleurs, du fait de leur centralisation, ils offrent – quand ils sont bien montés- la possibilité d’identifier des problèmes liés à l’allocation des ressources, de proposer des solutions et de procéder à un suivi-évaluation efficient.
Dans les pays où ils ont été mis en œuvre, les CNS ont permis de répondre aux questions suivantes :
Comment les ressources sont-elles mobilisées et gérées pour le système de santé ? Qui paye pour les soins de santé et combien est dépensé ? Qui fournit les biens et les services et avec quelles ressources ? Comment les fonds de soins de santé sont-ils répartis entre les différents services, interventions et activités par le système de santé ? Qui bénéficie des dépenses de santé ?
Ayant en considération que les CNS permettent d’avoir une vue d’ensemble du système de santé des pays, il serait intéressant de comprendre comment via ce mécanisme, les pays peuvent faire valoir leur fonds de contrepartie.
Dans des pays comme la RDC, les CNS constituent une direction à part entière du ministère de la Santé. C’est un service en charge de toutes les dépenses de santé effectuées dans l’ensemble du pays et à tous les niveaux de la pyramide sanitaire. Toutes les questions liées aux dépenses de la santé, aux financements de la santé, de la couverture santé universelle, des plans nationaux des différents secteurs ; toutes les discussions liées aux programmes et au budget de l’État sont traitées par cette direction. Par exemple, si un programme révise son plan stratégique, c’est au CNS de calculer et d’informer sur les coûts de ce plan.
La configuration est légèrement différente au Niger où le Fonds mondial contribue financièrement à l’élaboration des comptes santé. Dans ce pays de l’Afrique de l’Ouest, c’est une équipe de personnes qui a la charge de l’élaboration des comptes santé sous la responsabilité du ministère de la Santé. Selon M. Yacouba, Responsable administratif et financier du CCM Niger, en charge de suivi de la contrepartie de l’Etat du Niger (budgétisation, exécution et évaluation) membre de l’équipe budget programme du cabinet du Premier Ministre : « Il est important de revoir la composition de l’équipe en charge de l’élaboration des comptes santé de sorte qu’on y intègre au moins un représentant du CCM afin qu’elle puisse comprendre comment l’équipe d’élaboration pose les bases de calcul par rapport à la génération des informations financières et programmatiques en lien avec les sous-comptes maladies. De plus, cela facilitera au CCM l’analyse approfondie des données qui pourrait également contribuer à l’amélioration du traitement des données. »
Certains frais de fonctionnement encourus par l’État dans la provision des soins pour les trois maladies sont comptabilisés comme contrepartie dans certains pays tels que le Niger ou le Burkina Faso : les ressources humaines, les valeurs locatives des bâtiments (hôpitaux, postes de santé, etc.), charges fixes (eau, électricité, téléphones, fonctionnement, etc.). Au Niger par exemple où ces fonds font l’objet d’exonération, sont également comptabilisés les projets sous forme de prêt affectés à la santé (exemple : Banque Mondiale).
Concernant toujours le Niger on ne parvient pas à quantifier l’apport du secteur, mais le souhait dans un avenir proche c’est de parvenir à l’évaluer et à le capitaliser. Sur le long terme, « il est envisagé une rencontre avec le secteur privé pour faire la cartographie des sociétés qui s’activent dans la lutte contre les 3 maladies », selon M. Mahamadou Yacouba du CCM Niger.
Pour M. Lamine Traoré, Economiste de la santé et membre de la direction générale des études et des statistiques sectorielles chargé des partenariats au ministère de la santé du Burkina Faso : « Un certain nombre d’outils ont été mis en place pour justifier les volumes de cofinancement avec le devoir de transmettre toutes les pièces justificatives de ce qui sera déclaré. Seulement cet outil demande à être ajusté et revu. A titre d’exemple, quand il est demandé de justifier la mise à disposition des ressources humaines, sera pris en compte le volume global alors que de façon concrète dans une formation sanitaire, le personnel de santé ne travaille pas que sur le VIH par exemple. Dès lors il faut des clés de répartition pour pouvoir donner la réalité des chiffres. »
Crée sur recommandation de l’OMS, le département des CNS existe en République Démocratique du Congo depuis 2000 et constitue une direction à part entière du ministère de la Santé. C’est un service en charge de toutes les dépenses de santé effectuées dans l’ensemble du pays et à tous les niveaux de la pyramide sanitaire.
De ce fait, la direction des CNS joue un rôle important dans le dispositif sanitaire de la RDC.
Pour les institutions de santé mondiale qui ont une politique de co-financement comme le Fond mondial ou GAVI, l’évaluation des financements domestiques faite par la direction des CNS est vitale pour savoir si l’État a honoré ses engagements ou non.
Au Niger, jusqu’en 2017, les allocations se faisaient par composante maladie et dès lors, chaque maladie correspondait à une ligne budgétaire annuelle. VIH 2 Milliards de F CFA, Tuberculose 476 Millions et paludisme 700 Millions annuellement.
2022 a vu l’introduction d’une inscription budgétaire unique qui prend en compte la lutte contre les 3 maladies et les hépatites virales. Cette ligne se nomme intensifier la lutte contre les maladies transmissibles (paludisme, tuberculose, VIH/SIDA et hépatites virales pour un montant total de 4. 100 millions de CFA). Pour 2023, le projet de loi de finances donne des détails par – maladie avec la clé l’annonce d’une allocation de 320 millions CFA. Un plaidoyer – qui semble avoir été entendu par le ministère des finances – est en cours pour une revue à la hausse de cette enveloppe par maladie. Ces allocations sont spécifiquement dédiées à l’achat des intrants pour chaque maladie.
Au Burkina Faso depuis 2014, l’élaboration des comptes de santé s’accompagne également de l’élaboration des comptes satellites liés au financement du VIH, de la TB, du paludisme et de la santé de la reproduction. Les grands agrégats et les sous agrégats permettent d’avoir une vue d’ensemble et de réorienter certaines décisions de financements et d’allocations de ressources. Les comptes nationaux au Burkina Faso permettent d’avoir une lecture de la contribution du pays à tous les niveaux pour ce qui est des agences de financement, les fonctions de financières, les prestataires, qui permettent de dire quelle est la contrepartie financière du pays au niveau des institutions administratives qui redistribue des financements extérieur et intérieur, assurance communautaire ou privée ou la consommation des ménages. Ils permettent d’avoir les tendances d’une année à l’autre, des financements en termes de contrepartie au niveau du pays qui peuvent être de différentes origines.
Au Niger, Les CNS renseignent sur les sous-comptes maladies. Les informations générées dans les CNS permettent d’avoir un aperçu par l’évolution du financement de la santé mais plus spécifiquement par rapport à la lutte contre les 3 maladies, même si ces informations ne donnent pas des détails qui permettent de renseigner comme il se doit le paysage de financement. À titre d’exemple, si l’on prend le canevas du FM qui entre dans le cadre du paysage de financement, selon M. Yacouba, les CNS ne permettent pas de renseigner comme il se doit le canevas qui fait l’objet de soumission dans le cadre des demandes de financement du FM. Cela dit, de façon générale, les comptes santé permettent de dégager au moins l’évolution des 3 maladies mais aussi les contributions des diverses sources de financements (extérieurs ou sur fonds propres).
Malgré la dimension intégrée des CNS, ils ne permettent pas nécessairement d’avoir une vue d’ensemble car dans certains pays de la sous-région au lieu de procéder à une évaluation réelle des dépenses, en raison de manque de données, on procède à des extrapolations ou à des simulations pour générer les informations en lien avec les dépenses alors que les dépenses doivent être comptabilisées au réel pour faciliter un meilleur aperçu dans le cadre du financement des 3 maladies.
Cela peut s’expliquer en partie par le fait que l’élaboration des CNS est rétrospective. Au Burkina Faso les CNS ne se font pas à l’année. A. M. Traoré du Burkina Faso mentionne que dans le cadre du présent cycle NFM 3, ce qui est demandé comme preuve de cofinancement c’est 2021, 2022 et 2023 ; mais vu que les comptes sont élaborés de façon rétrospective, ce sont les comptes de 2020 qui sont disponibles, les comptes de 2021 étant en cours d’élaboration.
Au Niger, les comptes se font également de façon rétrospective et cela ne facilite pas la vue d’ensemble du financement de la santé avec le risque de créer une distanciation entre les données financières et épidémiologiques. En effet, la mise à jour des données épidémiologiques se fait au jour le jour alors que les données financières sont vieilles d’un an. S’il est important d’avoir des informations fraiches ou à jour pour un meilleur suivi, le manque de ressources humaines et financières entrave cependant la réalisation de cette tâche. Et comme on peut si attendre, ce décalage entre le programmatique et le financier à des incidences sur le rapportage des fonds de contrepartie au FM.
Pour y faire face, le Niger a mis en place une stratégie pour faire les prévisions des dépenses à prendre en compte après un exercice donné, mais afin également de trouver les outils nécessaires pour procéder à l’évaluation en interne des domaines ciblés en attendant une réorganisation.
De façon générale, il est également difficile d’exploiter les données générées dans les comptes santé car les personnes dévolues à cette tâche n’ont pas accès aux sources de vérification. Il faudrait offrir la possibilité aux ICNs d’accéder aux documents que l’équipe en charge de l’élaboration a exploité pour pouvoir avoir accès aux bonnes données.
Toutefois, une nuance s’impose. Le Dr. Djesika Amendah qui a longtemps travaillé sur les CNS déclare : « réaliser les enquêtes pour les CNS coûtent chers… ayant conscience de cette réalité l’OMS recommandait en son temps que l’exercice se fasse tous les 3 ans avec une extrapolation entre deux années d’un cycle de trois ans. De nos jours, l’OMS recommande l’institutionnalisation des CNS ce qui permettrait de faire les enquêtes annuellement. Ce qui n’est pas un acquis dans nos pays… ». Elle estime que l’argument selon lequel les pays ne seraient pas en possession de données « fraiches » n’est pas recevable pour au moins deux raisons : 1) Les dépenses récurrentes, salaires, frais de fonctionnement etc. ne changent pas beaucoup d’une année à une autre et 2) Le bilan, puis les audits se font annuellement ; ce qui un point de départ et une base à l’élaboration desdits comptes.
Avec une reconstitution des ressources en mi-teinte, il y a fort à parier que les pays donateurs du Fonds mondial seront beaucoup plus regardant sur les contributions des pays de mise en œuvre. Le Japon lors du dernier Conseil d’administration du fonds mondial n’a pas manqué de mentionner sur sa déclaration de position que « Le cofinancement doit avoir plus de visibilité sur ce que les pays paient réellement et s’assurer que nous appliquons notre politique de manière cohérente afin qu’il n’y ait pas de risque moral ». Ceci donne matière à réfléchir.
Armelle NYOBE