En 21 ans, la part du budget allouée à la santé au Cameroun n’a jamais dépassé 7%
Les raisons de cette contreperformance sont à chercher dans une volonté politique insuffisante, la faible capacité de mobilisation des ressources et la mauvaise utilisation des fonds disponibles.
C’est un constat d’échec qui marque l’esprit de toute personne qui s’intéresse à la mise en œuvre au Cameroun de la déclaration d’Abuja d’avril 2001 qui appelle les Etats africains à consacrer chaque année 15% de leur budget national au secteur de la santé. En 21 ans, ce pays d’Afrique centrale n’a jamais réussi une seule fois à atteindre cet objectif.
Dans ses « Comptes nationaux de la santé, année 2011 » produit en 2014, le ministère de la Santé publique (Minsanté) publie un tableau qui retrace l’évolution de la part accordée à ce secteur dans le budget général de l’Etat. Et il en ressort qu’entre 2000 et 2011, le budget alloué au secteur de la santé a varié entre 3,7% (2000/2001) et 7,07% (2009). Cette part se situant le plus souvent entre 4 % et 5% du budget général. En outre dans la Stratégie sectorielle de santé 2016 – 2027, le Minsanté relève que la proportion du budget national allouée au ministère de la santé entre 2012 et 2015 oscille entre 5% et 5,5%.
L’observation des budgets annuels successifs montre que depuis 2015 jusqu’à ce jour, ces performances ne se sont pas améliorées. Le meilleur taux dans cette période est celui de 2016 qui se situait à 5,57%. Le niveau le plus bas étant celui de 2022 (3,70%), précédé de celui de 2018 (3,86%). Ainsi, le Cameroun n’a jamais, en aucune année, atteint la cible de 15% depuis l’adoption de la déclaration d’Abuja. Sa meilleure performance restant les 7,07% enregistrés en 2009.
Le ministère de la Santé publique du Cameroun a refusé de commenter et d’expliquer cet éloignement par rapport à la cible de 15% ; nous renvoyant au ministère des Finances où la direction du budget n’a pas donné de suite à nos demandes d’information. Cependant, dans l’évaluation de la période 2001-2015 comprise dans le Stratégie Sectorielle de Santé 2016-2027, le Minsanté écrit que « l’engagement politique à un très haut niveau (…) est insuffisant au regard du pourcentage du financement de l’Etat alloué au secteur de la santé ». Ce document rejoint ainsi l’analyse d’Albert Zé, économiste de la Santé à Yaoundé, qui affirme que « au Cameroun, la santé ne représente pas une priorité, d’où le constat d’une forte négligence ».
Conséquences
Dans un article publié en octobre 2020 dans la revue « Afrique Renouveau » (la section Afrique du Département de l’information de l’ONU), Nkechi Olalere[1] et Agnes Gatome-Munyua[2] énumèrent quelques-unes des raisons spécifiques qui expliqueraient la non-atteinte de cet objectif sur le continent. Elles évoquent notamment la faiblesse du produit intérieur brut (PIB), le faible recouvrement des impôts, l’existence de priorités concurrentes, etc.
Analysant le cas précis du Cameroun, Jean-Colbert Awomo Ndongo, enseignant-chercheur au Centre de recherche en microéconomie appliquée (REMA) de l’université de Yaoundé II, affirme que l’une de ces priorités concurrentes est par exemple le financement de la défense du territoire national confronté à des défis sécuritaires depuis plusieurs années.
Pour lui, le fait de ne pas atteindre cet objectif va se traduire par des conséquences comme l’échec de l’éradication du paludisme, de la tuberculose et du VIH/Sida. Une intention qui était pourtant l’une des principales motivations la déclaration d’Abuja. L’intéressé ajoute que l’autre conséquence de cette situation est la difficulté qu’a le pays à mettre en œuvre la couverture maladie universelle projetée depuis un certain nombre d’années.
Mais, pour Albert Zé, ce n’est pas nécessairement la non-atteinte de cet objectif de 15 % qui pose le problème dans le secteur de la santé au Cameroun, voire en Afrique. A l’en croire, le système de santé au Cameroun connaît pour le moment « d’énormes difficultés » allant de son organisation à l’utilisation des fonds alloués. « Et plusieurs pays ayant de très bons systèmes de santé n’ont jamais atteint cet objectif », dit-il.
Nkechi Olalere et Agnes Gatome-Munyua abondent dans le même sens quand elles écrivent que « en réalité, il est moins important d’atteindre les objectifs de dépenses que de veiller à ce que les systèmes de santé disposent de ressources suffisantes et à ce que les ressources soient utilisées de manière optimale. »
Subventions
Pour améliorer ces performances, ces dernières proposent de « réduire les dépenses consacrées à des programmes publics inefficaces ou inéquitables, tels que les subventions aux carburants qui profitent de manière disproportionnée aux personnes aisées, qui peuvent être réaffectées à l’augmentation des recettes publiques et, éventuellement, à l’augmentation des allocations destinées aux secteurs de la santé et du social ».
Jean-Colbert Awomo Ndongo renchérit en indiquant que pour le cas du Cameroun, une telle réduction devrait valoir aussi pour certaines dépenses de fonctionnement des ministères qui gonflent leurs budgets. Il cite par exemple l’achat de véhicules, l’organisation de séminaires, de conférences ou des colloques. « Lorsque je parle d’une diminution, explique l’universitaire, c’est parce que certains ministres, en défendant leurs budgets ont présenté des dépenses de fonctionnement de près de 80% contre 20% pour les investissements. Certains ministères pourraient donc voir leurs budgets diminuer pour augmenter celui de la santé ».
Aussi Albert Zé pense-t-il pour sa part que la première chose à faire est d’assainir la gestion de l’existant. « On ne peut pas prétendre augmenter le budget dans un flou de gestion de l’actuel budget. Il faut prioriser la santé des populations en utilisant rationnellement le budget déjà alloué. Imaginez-vous, s’étonne-t-il, qu’actuellement environ 90% du budget alloué à la santé n’est pas dépensé pour les besoins de santé. Nous pouvons faire de très grandes choses avec ce que nous avons actuellement il suffit juste que nos dirigeants manifestent une volonté de donner une santé de qualité à leurs populations ».
Les Comptes nationaux de la santé pour l’année 2011 confirment ces chiffres en précisant que « plus de quatre cinquième (87,7%) des dépenses courantes de santé effectuées par l’Etat sont relatives à la gouvernance et administration du système de santé. Les biens médicaux et les soins préventifs constituent respectivement 5,6% et 3,8% de ces dépenses. Les soins curatifs constituent 2,4% de dépenses courantes en santé de l’Etat. Les services auxiliaires et les soins de réadaptation sont quasi inexistants. »
Au demeurant, Albert Zé trouve que cet objectif de 15% « n’a jamais été réaliste ». « Cette déclaration d’Abuja pose problème parce qu’elle ne tient pas compte des spécificités des pays. Il est toujours très gênant de voir une décision être proposée à un ensemble de pays comme si la situation était identique dans ceux-ci. Il est temps que les Africains commencent à réfléchir spécifiquement pour l’Afrique et leurs pays. »
Julien Chongwang
[1] Directrice exécutive du Strategic Purchasing Africa Resource Center (SPARC).
[2] Chargée de programme senior chez Results for Development.