Le Fonds mondial de lutte contre le Sida, le paludisme et la tuberculose constitue indubitablement l’un des plus vastes partenariats dans le domaine de la santé sur le plan mondial. En effet, son action salutaire d’investissement pour mettre plus rapidement un terme aux épidémies susmentionnées bénéficie à plus de 100 pays dans le monde et en Afrique en particulier. En 2020, il a permis de sauver 44 millions de vies à travers le monde avec 21 millions 900 personnes vivant avec le VIH sous ARV, 4 millions 700 personnes sous traitement anti tuberculeux et 188 millions moustiquaires distribués.
44 millions de vies c’est aussi 44 millions de diversité culturelle, traditionnelle, religieuse et linguistique… 44 millions de personnes qui pour sûr ne parlent pas la même langue. Le Fonds mondial est de ce fait une véritable tour de Babel eut égard aux diverses langues parlées par ces nombreux pays qui comprennent et parlent, outre l’anglais, le français, le portugais, l’espagnol, le russe, etc. Par ailleurs, cette diversité linguistique peut également être observée au niveau des gouvernements donateurs notamment les Etats-Unis, la France, le Canada, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la Norvège, la Suède, le Portugal, le Japon, les Pays Bas, la Belgique…
Il est de notoriété publique que l’anglais est la langue par excellence du Fonds mondial et de ce fait, la quasi-totalité de ses documents sont rédigés en anglais. Etant donné que ces documents sont généralement d’une haute technicité doublée d’un vocabulaire spécialisé, les destinataires qui n’ont pas une bonne maîtrise de la langue anglaise font face, en cas de non traduction de ces derniers, à de sérieux problèmes de compréhension qui peut les empêcher de participer pleinement en tant que partenaires et parties prenantes. Il peut s’agir des représentants des diverses circonscriptions au sein du Conseil d’administration et des comités du Fonds mondial, des ONG des pays développés ou des pays en voie de développement, des responsables de mise en œuvre des subventions et autres.
Prenons l’exemple du Forum de partenariat qui est ‘un processus permanent associé à la Stratégie du Fonds mondial offrant aux personnes et aux instances œuvrant pour la prévention, la prise en charge, le traitement et, à terme, l’éradication du VIH/sida, de la tuberculose et du paludisme une tribune où ils peuvent exprimer leurs points de vue sur la politique et les stratégies du Fonds mondial’. Etant donné que la stratégie est l’un des éléments essentiels permettant de réaliser les objectifs de l’institution, il est nécessaire que toutes les parties prenantes du Forum de partenariat aient une compréhension approfondie des enjeux pour pouvoir apporter une contribution considérable basée sur leur expérience, en vue d’éclairer l’orientation et l’élaboration de la politique et des stratégies du Fonds mondial. Pour ce faire, il ne serait pas approprié de continuer à utiliser l’anglais essentiellement comme langue de communication, mais de faire intervenir d’autres langues parlées par plusieurs pays, car nous ne prétendons pas que toutes les langues peuvent être prises en charge.
Sur un autre front et sur une question moins évidente bien que pas du tout, lors de la réunion de l’AOC préparatoire au Conseil d’administration organisée à Dakar du 25 au 26 octobre 2021, un des participants faisait état de la barrière linguistique lors de la sélection des consultants à Sao Tomé et Principe. En effet, dans l’appui à la rédaction de demande de subvention, le consultant attribué au pays était d’expression anglaise alors que le pays est d’expression portugaise où le francais est plus ou parlé alors que l’anglais l’est très difficilement. Pour pallier cet impair, il aura fallu recruteur un interprète sur place pour faciliter les échanges. Perte de temps et d’énergie avec un coup supplémentaire qui aurait pu être évitée si l’anglais n’était pas considéré comme la langue de facto sous tous les cieux.
L’Afrique bénéficie de plus de 70% des ressources du Fonds mondial et représente la plus grande charge de morbidité en ce qui concerne deux des trois maladies relevant du portefeuille du Fonds mondial, notamment le paludisme (94%) et le Sida (70%), et où la tuberculose n’est pas négligeable (25%), quatre langues officielles sont généralement utilisées sur le continent, à savoir, outre l’anglais, le français, le portugais et l’espagnol. Ces langues devraient être prises en compte dans la communication aussi bien dans le cadre la documentation écrite que dans les échanges oraux au cours des diverses rencontres telles que les réunions du conseil d’administration et des comités, le Forum de partenariat et autres rencontres. Cela garantirait une meilleure compréhension des enjeux ainsi qu’une plus grande ouverture d’esprit pouvant aboutir à des innovations, par le biais du partage de points de vue pertinents et basés sur les réalités de terrain surtout provenant du continent dans lequel le Fonds mondial investit l’essentiel de ses ressources et où, par conséquent il a besoin d’obtenir des résultats optimaux en vue de parvenir, à terme, à l’éradication du VIH/sida, de la tuberculose et du paludisme.
De manière plus spécifique, les problèmes de communication peuvent avoir un impact négatif sur la mise en œuvre des subventions et la performance des acteurs de mise en œuvre dues à une mauvaise compréhension des politiques, procédures et directives du Fonds Mondial en matière d’éthique et de gouvernance, de gestion des risques programmatiques et financiers, de gestion des achats et stocks des produits de santé, etc. ou même d’opportunités pouvant aider les pays à améliorer la mise en œuvre de leurs subventions pour plus d’impact, notamment, les investissements à effet catalyseur. Outre les représentants des circonscriptions au sein du CA et des comités du Fonds mondial, les Instances de coordination nationale, les principaux récipiendaires ainsi que les sous-récipiendaires sont, en tant qu’intervenants de premier plan, tenus de maîtriser tous les outils mis à leur disposition par le Fonds mondial dans le cadre de la mise en œuvre et du suivi des subventions.
Il est par conséquent vital qu’il soit accordé à tous ces acteurs l’opportunité de disposer d’une documentation dans la langue qu’ils maitrisent le mieux et de pouvoir également s’exprimer avec le maximum d’aisance.
Pour assurer une amélioration de l’impact de ses interventions, il est souhaitable que le Fonds Mondial se dote d’une communication externe respectueuse des parties prenantes en général, mais en particulier celles de l’Afrique, continent le plus affecté par 2 des 3 maladies relevant de son portefeuille et bénéficiant de ce fait comme nous l’avons mentionné plus haut, de la majeure partie de ses subventions. Pour cela, il est important de s’appuyer davantage sur la traduction et les outils de traitement des langues. L’utilisation croissante de l’anglais liée aux impératifs de la communication internationale peut être parfois ressentie comme une atteinte au droit à travailler en d’autres langues, voire un facteur de stress.
Les questions de langues doivent donc être reconnues comme des composantes à part entière de la gestion d’une organisation internationale.
Lorsque l’anglais est utilisé, s’assurer que les documents en français, en portugais, en espagnol par exemple sont également disponibles car il va sans dire que diffuser des documents exclusivement rédigés en anglais compromet la bonne compréhension par tous. Il vaut toujours mieux avoir autour de la table des personnes qui comprennent la même chose. Chacun doit pouvoir s’exprimer dans la langue qu’il maîtrise le mieux, au besoin en recourant à un interprète.
Il est important de faire bénéficier les non-anglophones présents des services d’interprètes ou de présentations visuelles (PowerPoint). Doubler un exposé oral en anglais d’un PowerPoint en français ou une autre langue est une marque de respect et de courtoisie qui peut favoriser la compréhension et améliorer la concentration. Cela n’exclut pas les non-anglophones et optimise les échanges au cours des réunions du CA et des comités du FM en permettant à chaque participant de donner la pleine mesure de ses capacités car de toute évidence, des points de vues pertinents et salutaires peuvent ne pas être exprimés en raison de la difficulté à s’exprimer dans une langue dont le participant n’a pas une maîtrise suffisante.
Un autre moyen consiste à privilégier une communication numérique multilingue. Le site internet du Fonds mondial peut proposer plusieurs versions linguistiques afin de toucher un plus grand nombre de parties prenantes. Une bonne pratique consistera à mettre à jour simultanément les différentes versions linguistiques et à traduire le plus de contenus possible.
Traduire a certes un coût, mais ne pas traduire a un coût encore plus élevé. On constate que les dépenses de traduction sont largement compensées par des gains de productivité, simplement parce qu’on est plus efficace dans sa langue. Il est vital de confier la traduction à des personnes qualifiées. Une traduction comporte évidemment des risques si elle n’est pas bien faite, d’où l’importance d’avoir recours à des professionnels et de veiller à la qualité des traductions car il en va de l’image de marque de l’organisation.
Proposer des lexiques multilingues s’avère également être une bonne pratique en vue d’harmoniser la terminologie spécialisée de l’organisation dans l’optique de favoriser une compréhension commune par toutes les parties prenantes. Certaines organisations proposent ainsi sur leur intranet un lexique propre à leurs activités.
Recourir à l’interprétation simultanée ou consécutive selon le cas est également d’une importance capitale pour faciliter la communication au cours des réunions ou de rencontres plus restreintes faisant intervenir des participants de diverses origines linguistiques. L’interprétation permet en effet d’éviter une situation d’infériorité par rapport au locuteur de langue maternelle.
C’est l’occasion de souligner l’appui d’Expertise France via L’Initiative qui est consciente de cet obstacle. En effet, grâce à un financement accordé au Bureau de la Circonscription Africaine, nous avons pu mieux accompagner les pays africains d’expression française notamment par le recrutement de personnel francophone, d’une traductrice mais aussi par des séances de travail en français pour les membres du CA du BCA.
Nous espérons que ce soutien soit pérenne mais également qu’il inspire d’autres partenaires.
Sites et documentation consultés en ligne
Rose Meku