Du 12 au 14 décembre 2023 se tenait à Dakar une rencontre de jours trois qui a réuni 12 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre (Bénin, Burkina-Faso, Côte d’Ivoire, Ghana, Guinée Bissau, Mali, Niger, Nigéria, RDC, Sénégal, Tchad, Togo) et 30 délégués de la sous-région. Cette réunion organisée par le Bureau de la Circonscription Africaine qui a été rendue possible par l’appui de L’Initiative a permis aux participants de se pencher sur des sujets tels que (i) la pérennité des résultats des subventions du Fonds mondial, notamment la mobilisation des ressources nationales pour la santé et le cofinancement gouvernemental pour le prochain cycle, (ii) La mise en œuvre des subventions et des activités de SSRP, dont l’alignement des ressources du mécanisme C19RM et du Fonds de préparation aux pandémies et (iii) L’expérience et les leçons tirées en matière de prévention du VIH, de la TB et du paludisme et la fourniture de soins aux personnes vivant avec ou affectées par les maladies dans les pays a contexte d’intervention difficile (CID) et non CID de la région et des questions de gouvernance, de coordination et de leadership dans la mise en œuvre et la supervision des subventions du Fonds mondial (y compris les instances de coordination nationale).
Cette rencontre à laquelle ont participé des représentants des Instances de Coordination Nationales ainsi que des récipiendaires principaux a permis aux uns et autres de mieux comprendre les contextes d’intervention. Ce faisant, les pays à contexte d’intervention difficile et soumis à la politique de sauvegarde additionnelle ont eu l’opportunité d’expliquer à ceux qui ne le sont pas, les difficultés liées à ces deux politiques. En effet, ces deux politiques qui tendent souvent à être confondues sont des mesures de mitigation des risques visant à assurer la pérennité et l’intégrité des investissements du Fonds. Si la politique des contextes d’intervention difficile s’applique à des pays en proie à une instabilité « chronique » (conflits armés, sécheresse chronique, etc.) et accorde plus de flexibilité aux pays concernés, la politique de sauvegarde additionnelle quant à elle vise à réduire les risques de mauvaise gestion financière.
Cette réunion, riches d’enseignements a révélé des avancées prometteuses dans les divers pays.
Les ICN sont des entités créées par le Fonds mondial qui rassemblent toutes les parties prenantes d’un pays dans le cadre des subventions. Ces parties sont le secteur public, les communautés, le secteur privé, les partenaires techniques et financiers. L’objectif est de faire asseoir leurs représentants autour d’une table afin que leur voix soit entendue et pour assurer la prise en compte de leurs problèmes dans les demandes de financement et la mise en œuvre des subventions. Au cours des débats, les participants ont constaté une diversité dans le leadership de ces instances, secteur public, privé et société civile ; une multisectorialité et pluridisciplinarité qui fait des ICN une plateforme à dupliquer aux autres domaines de développement durable de l’avis des participants. Abondant dans ce sens, l’ICN de Côte d’Ivoire envisage de servir de plateforme multisectorielle pour d’autres maladies.
En tant que telles, les ICN représentent une excellente opportunité de partager les responsabilités dans l’appropriation nationale des politiques du Fonds mondial et d’assurer la coordination de la mise en œuvre des subventions du Fonds mondial. Les ICN permettent de favoriser l’appropriation nationale, le partenariat, la responsabilité ainsi que la durabilité des interventions. Leur existence est donc essentielle et très appréciée par les parties prenantes.
Souvent citée en exemple, l’instance de coordination nationale de la Côte d’Ivoire fait rêver en termes de gouvernance, d’appropriation par le pays et de gestion des financements. En effet, le pays fait montre d’un leadership exceptionnel en finançant l’ICN. L’Etat ivoirien met à la disposition de l’ICN une somme d’environ 200 000 000 FCFA par an et emploie dix-neuf personnes; quant au budget du FM de 300 000 Euros sur 3 ans soit 196 782 000 FCFA pour 3 ans, il aide au recrutement de trois personnels seulement.
Par ailleurs, l’ancrage institutionnel des ICN a donné matière à réflexion. Certaines ICN dont l’ancrage se situe au niveau de la primature ou de la présidence de la république de leur pays estiment que ce positionnement leur permet une meilleure prise en main des questions de santé liées aux trois maladies que sont le VIH, la Tuberculose et le Paludisme (VTP) que s’ils étaient ancrés au ministère de la santé par exemple. D’autres ICN ancrées au ministère de la sante apprécient la proximité avec les acteurs de mise en œuvre.
Cependant, au rang des défis, les ICN s’accordent sur le fait qu’après la soumission des demandes de financements, elles sont totalement mises à l’écart à la signature des contrats, ce qui les fragilise dans les relations avec les PR. Aussi, l’insuffisance d’intégration des interventions des trois programmes a été également signalée comme défi par certaines instances de coordination.
Sur un autre registre, l’implication de la société civile dans les ICN reste faible selon M. Simon Kaboré, Directeur Exécutif des Réseaux Accès aux Médicaments Essentiels (RAME). Il a à ce sujet indiqué qu’une étude menée par la Plateforme régionale Afrique francophone du Fonds mondial en 2019-2020 dans la région d’Afrique de l’Ouest et du Centre, révèle que seul un récipiendaire principal sur trois est communautaire (ONG locale) ce qui se fait ressentir dans la délivrance des services également. Les autres étant du gouvernement ou des ONG et institutions internationales.
Une revue des performances des subventions des pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre présentée par une équipe du Fonds mondial lors d’une réunion de Réseau d’Apprentissage, révèle une amélioration des performances dans la lutte contre le VIH, la Tuberculose et le Paludisme.
En effet, Le taux d’absorption global pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre au 31 décembre 2022 s’élevait à 75 %, soit une augmentation de 5 % par rapport au cycle précédent. La région s’est également démarquée dans l’utilisation du budget tel qu’illustré ci- dessous avec un taux de 93%.
Ces résultats indiquent une capacité accrue de la région à utiliser efficacement les fonds si la tendance positive se poursuit. Des améliorations notables de l’absorption ont été observées dans toutes les interventions, à l’exception des infrastructures, des équipements non sanitaires et des ressources humaines pour la santé, qui requièrent une attention accrue. Parallèlement, on note un faible taux d’absorption des fonds alloués à la lutte contre la Covid-19, qui même s’ils ont permis de renforcer les systèmes de santé, reste relativement faible soit 31% ; au rang des justificatifs d’un tel fossé reviennent très souvent les procédures d’appels d’offres et d’acquisition des intrants, les lourdeurs administratives, etc.
Le Tchad est un immense pays d’Afrique centrale de 1.284.000 km2, classé Contexte d’Intervention Difficile et sous Politique de Sauvegarde Additionnelle. Dans le cadre du Cycle de subventions 6 (CS6), le pays a fait état de progrès à certains égards dans la lutte contre le VIH, avec des points forts. Depuis 2020, le pays a fait des progrès notables sur le plan des 90-90-90, marqués par une augmentation des personnes qui connaissent leur statut sérologique passant de 79 à 85%, et des personnes sous traitement antirétroviral qui passe de 59,20% à 63% ; ce qui démontre d’une réelle volonté politique à venir à bout de la maladie.
La prévention de la transmission mère-enfant semble être un réel défi dans la sous -région. Le Tchad a partagé ses défis spécifiques dans ce domaine, notamment, 40% des nouvelles infections sont pédiatriques, indiquant un taux élevé de contamination, en partie due à une discontinuité des soins chez les femmes porteuses du VIH, un manque de suivi des personnes vivant avec le VIH, et des lacunes en matière de dépistage. « Selon les données, le Tchad compte environ 110 000 personnes vivant avec le VIH, parmi lesquelles 7 000 femmes enceintes séropositives et 1 300 nouveaux cas d’infection pédiatrique sont enregistrés. ».
En perspective du Cycle de subventions 7, il est recommandé de renforcer le dépistage des contacts des personnes vivant avec le VIH, d’augmenter les ressources dans les zones d’orpaillage et autres zones minières, de transformer certains centres de prévention de la transmission mère-enfant en centres de soins globaux, d’impliquer les communautés locales dans la lutte contre le VIH pour décentraliser la prise en charge des patients, et d’améliorer l’accès aux ressources pour les personnes stigmatisées (notamment les homosexuels). En outre, le pays envisage l’extension des activités sur l’approche Modèle de Soins Différenciés (MSD) pour maintenir les mères et les enfants dans le continuum des soins.
D’importants défis subsistent néanmoins. Sur les objectifs 95- 95 -95 (des trois 95) pour 2025, les pays de la sous-région sont à la traine ; seuls «cinq pays en Afrique ont atteint les objectifs 95-95-95 et aucun de ces pays ne se situe en Afrique de l’Ouest et Centre. Ce sont : le Botswana, l’Eswatini, le Rwanda, la République-Unie de Tanzanie et le Zimbabwe. Pour atteindre de meilleurs résultats en Afrique de l’Ouest et du Centre, les pays appellent à une démédicalisation des services relatifs au VIH qui sont trop centralisés au niveau national et régional de la pyramide sanitaire.
Le paludisme et la tuberculose quant à eux souffrent d’un manque de financement. Selon le partenariat Stop TB, le déficit de financement généralisé pour la tuberculose s’élève à 249,98 millions d’USD et le coût de l’inaction est estimé à 1 000 milliards de dollars US.
Pour le paludisme en particulier, en plus du déficit de financement, les pays notent l’inadéquation des moyens de lutte contre le paludisme. Dans la plupart des pays participants, les moustiquaires imprégnées d’insecticide occupent environ 2/3 des financements des programmes. La distribution gratuite de ces moustiquaires n’en garantit pas l’utilisation comme en témoigne le gap entre la possession et l’utilisation, ce qui indique un certain niveau de gaspillage. Ce problème prend de l’importance quand on considère l’augmentation des coûts des moustiquaires imprégnées dans un contexte de résistance aux insecticides et de prix élevés de transport. De nombreux participants ont estimé qu’un meilleur ciblage (femmes enceintes et enfants de moins de cinq ans) pourrait être plus bénéfique. Ces riches échanges démontrent à suffisance une fois de plus qu’apprendre du terrain reste la meilleure façon de venir à bout des trois maladies.
Tel qu’on pouvait s’y attendre, une rencontre avec des représentants des pays affectés par cette mesure n’aurait pu se conclure sans un vibrant plaidoyer pour en sortir. Les pays ont l’impression que le placement sous la PSA équivaut à une admission au couloir de la mort tant les chances d’en sortir sont quasiment faibles, même si le cas de la Côte d’ivoire prouve que ce n’est pas une mission impossible. De nombreux pays considèrent cette classification comme injuste car ils ont été placés sous politique de sauvegarde additionnelle sans avoir été jugés « coupables » de détournements des ressources du Fonds mondial ou de mauvaise gestion; c’est le cas par exemple de la Guinée-Bissau, du Congo et du Burkina Faso.
Se réjouissant de la requête du Bureau qui sollicite du BIG l’audit de cette disposition qui date de 2004 et qui à ce jour n’a été soumise à aucun amendement, les pays espèrent que le Fonds mondial aura une meilleure appréciation du risque et prendra en compte les contextes nationaux. Dans la même veine, les pays ont reconnu l’importance d’un bon système de contrôle internes qui réduiraient les risques financiers. Les pays militent également pour un transfert de compétences et un renforcement des capacités.
La réunion s’est conclue par l’adoption d’une feuille de route dont les premières activités débuteront en janvier 2024.
Armelle Nyobe